A cette occasion, le Cerema propose une interview de deux des co-auteurs du guide sur les enjeux et la démarche pour intégrer au mieux la préservation des continuités écologiques dans les projets d'infrastructures.
Le Cerema publie la guide "Les passages à faune : Préserver et restaurer les continuités écologiques avec les infrastructures linéaires de transport". A cette occasion, deux des co-auteur de cet ouvrage collectif du Cerema, François Nowicki, chef de projet biodiversité, et Jean-François Bretaud, chef de projet biodiversité et référent "Trame verte et bleue" et faune, ont répondu à 3 questions.
Ce guide porte sur les différents passages à faune et dépendances vertes qui permettent d'assurer le fonctionnement des continuités écologiques. De quoi s'agit-il?
Les continuités écologiques correspondent aux espaces dans lesquels une espèce est amenée à se déplacer pour accomplir son cycle biologique. Il s’agit en outre des milieux qu’elle utilise pour accéder aux zones de reproduction, d’alimentation, de repos, de croissance et de dispersion des individus. Les continuités sont de fait un élément indispensable à la préservation de la biodiversité.
Par l’effet de coupure, c'est-à-dire une barrière physique, et la destruction d’habitats qu’elle crée, une infrastructure linéaire de transport vient profondément dégrader l’équilibre des milieux en place et constitue une source d’impacts potentiellement élevée sur le maintien et la qualité des continuités écologiques.
Il existe toutefois des démarches et des mesures qui permettent de limiter ces impacts. En terme de maintien et de restauration des continuités écologiques, c’est-à-dire de transparence de l’infrastructure pour la faune, les passages à faune sont la principale mesure de défragmentation de l’espace. Un passage à faune n’est autre qu’un ouvrage construit ou aménagé pour reconnecter les milieux qui ont été séparés par le passage de l’infrastructure. Il s’agit le plus souvent de donner à l’ouvrage une dimension la plus naturelle possible en reconstituant sur ou sous l’ouvrage les habitats qui ont été fragmentés, par exemple en disposant une couche de terre, en plantant des buissons …
Il existe toutefois plusieurs catégories de passages. Globalement on distingue les passages "toute faune" de grande taille dont le rôle est d’assurer une transparence à un maximum d’espèces, des passages petites faune de taille plus modeste qui assure une perméabilité minimale pour les plus petits animaux. De par leur taille, le coût des ouvrages toute faune est bien évidemment plus élevé. Ils sont donc réservés aux enjeux les plus forts alors que les passages petites faune sont généralement plus faciles à mettre en œuvre, moins coûteux et donc plus nombreux.
Ce guide fournit à l’ensemble des opérateurs amenés à travailler sur cette problématique les réponses auxquelles ils sont susceptibles d’être confrontés lors de l’aménagement d’une infrastructure en place ou la construction d’un nouveau projet. Si une majeure partie du document est consacrée aux passages à faune, il fournit également des préconisations pour la gestion et l’entretien des dépendances vertes. Ces dépendances vertes sont les abords végétalisés des infrastructures et peuvent constituer lorsqu’elles sont correctement considérées des axes de déplacement le long des emprises. En ce sens, il s'agit de milieux favorables aux déplacements de la faune, notamment jusqu’aux passages à faune.
Le guide vient par ailleurs en complément d’autres guides et documents méthodologiques déjà publiés, par exemple sur les aménagements destinés à des groupes d’espèces (avifaune, odonates, chiroptères…) ou le retour d’expérience "Permettre à la faune de franchir les infrastructures de transport".
La préservation et la restauration des continuités écologiques sont des objectifs de plus en plus présents dans les politiques publiques. Comment les intégrer au mieux dans les projets d'infrastructures?
Pour lutter contre l’érosion de la biodiversité, la France a engagé à travers les lois Grenelle de 2009-2010 et la mise en place de la trame verte et bleue une politique visant à enrayer la perte de biodiversité en cherchant à préserver, gérer et remettre en bon état les continuités écologiques. Ces dispositions s’appliquent notamment aux infrastructures qui doivent ainsi tenir compte de ces enjeux lors de leur conception voire de leur requalification. Ces dispositions sont également confortées par la loi de 2016 qui renforce la séquence ERC dans le cadre des projets d’aménagements. Cette séquence consiste à éviter les atteintes à la biodiversité, à défaut les réduire et, en dernier recours, compenser les impacts résiduels.
Il faut ainsi envisager les continuités écologiques dès la phase amont des projets pour intégrer cette thématiques dans les études du projet et son planning général. Le porteur de projet doit évaluer le besoin de restaurer ou créer des continuités écologiques au niveau de l’infrastructure. En premier lieu en consultant les prescriptions des documents de planification comme le SRADDET, le Scot, le PLUi, sur les continuités écologiques.
Il doit ensuite solliciter une expertise généralement réalisée par un bureau d’études spécialisé ou par une association naturaliste . L’objectif est d’identifier les espèces présentes et, en tenant compte des milieux et de leur organisation, de localiser les points de conflits entre l’infrastructure et les continuités utilisées par ces espèces. C’est ainsi au droit de ces points de conflits que l’on va chercher à positionner les aménagements et prioriser les actions à mener en fonction des enjeux de biodiversité et des contraintes techniques et financières.
Les possibilités d’interventions sont toutefois différentes si on se situe sur un projet neuf ou dans le cadre d’une opération de requalification. En requalification, les contraintes techniques telles que l'accès au chantier, la disponibilité du foncier par exemple sont généralement plus fortes, et les capacités financières le plus souvent plus limitées. Les passages toute faune de grande taille sont ainsi plus difficile à réaliser. Si des passages neufs sont parfois construits, on va également chercher à aménager les passages existants en leur conférant une vocation écologique qu’ils n’avaient pas ou peu par le passé.
Les enjeux concernant la petite faune sont plus faciles à prendre en compte et les aménagements généralement plus nombreux : il peut par exemple s’agir de poser des buses sous la chaussée, d’équiper les ouvrages hydrauliques de banquettes pour permettre le passage des petits animaux terrestres, ou encore d’installer de clôtures de protection. Le guide aborde aussi les dépendances vertes, dont le mode de gestion peut être adapté à la présence de la faune tout en assurant la sécurité des usagers. Par exemple, le fait de décaler une clôture de quelques mètres vers la route permet de mettre à disposition de la faune un couloir de déplacement qui peut être très intéressant, notamment dans les paysages dégradés.
Il faut aussi attirer l’attention sur quelques points à prendre en compte : D’une part ces travaux doivent s’inscrire dans le cadre des évaluations environnementales et des procédures réglementaires. D’autre part la concertation avec les riverains est cruciale, et permet de communiquer sur le dispositif, sur la raison de l’investissement, ainsi que de répondre aux interrogations.
Un suivi de l’aménagement est également nécessaire pour l'adapter si besoin et pour alimenter les retours d’expériences. Ce suivi peut être réalisé avec des pièges photographiques qui se déclenchent au passage d’un animal. Il permet de savoir si le passage est adapté, quelles espèces l’utilisent, éventuellement de comprendre pourquoi certaines ne l’utilisent pas. Le Cerema prépare actuellement un guide sur les suivis par pièges photographiques.
Enfin, il faut prendre en compte l’entretien du dispositif sur le long terme pour assurer sa fonctionnalité.
Quelles actions mène le Cerema sur les continuités écologiques en lien avec les infrastructures? Comment accompagne-t-il les collectivités ?
Le Cerema mène différentes actions. D’abord sur le plan méthodologique, nous diffusons les règles de l’art auprès des acteurs, à travers des guides des fiches, des webinaires… Une journée technique sera aussi organisée prochainement sur les continuités écologiques et les passages à faune, les enjeux de collisions.
Localement, le Cerema accompagne des gestionnaires, comme les DIR ou les conseils départementaux. Si les guides apportent des solutions, dans ce domaine il faut faire du sur-mesure : la configuration est toujours différente d’un site à l’autre.
Le Cerema peut notamment intervenir en assistance aux maîtres d’ouvrages lors du montage du projet, la rédaction des dossiers d’autorisation, le suivi des bureaux d’études … Le Cerema peut également intervenir lors des phases chantier car si les enjeux et les mesures peuvent être correctement décrits dans les dossiers, la mise en œuvre sur le terrain est parfois plus délicate et les particularités du chantier peuvent, au final, conduire à une mauvaise conception des mesures qui s’avèreront alors inefficaces. L’expertise du Cerema permet de pallier à ces difficultés et de s’assurer de la pertinence et de l’efficacité des investissements.