14 juin 2019
Vue du versant des ruines de la Séchilienne avec un éboulement
Remih - Wikimedia Commons
Depuis 1985, le Cerema est chargé de l’instrumentation et de la surveillance en temps réel du grand mouvement de versant montagneux des Ruines de Séchilienne, situé dans la vallée de la Romanche à une vingtaine de kilomètres de Grenoble. Ce site a également permis de mener des expérimentations en matière d'instrumentation.

Ce versant montagneux du massif de Belledonne en Isère présente une instabilité de grande ampleur qui avait tendance à s’accroître au début des années 1980, et les autorités en charge de la sécurité publique (Préfecture et Direction Départementale de l'Equipement) ont entrepris la mise en œuvre d'une surveillance du site depuis 1985 afin de prévoir une éventuelle rupture catastrophique de tout ou d'une partie du mouvement de versant susceptible d'atteindre les enjeux en fond de vallée (RN91, Romanche, habitations du hameau de l'Ile-Falcon).

 

Un massif instable surveillé depuis 1985

Ancienne route passant sous le massif, bloquée par un gros bloc rocheux
Ancienne route passant au pied du massif - Cerema

En cas de rupture catastrophique, la formation d'un barrage naturel sur la Romanche, constitué par les éboulis s'accumulant en fond de vallée, était redouté, induisant des risques hydrauliques en amont (inondation d'un quartier de Séchilienne par la retenue d'eau ainsi créée), mais surtout en aval du site (propagation d'une vague en fond de vallée suite à une rupture brutale du barrage naturel).

Le mouvement de versant affecte une superficie de 70 ha sur les deux tiers supérieurs du versant sud du Mont Sec et est donc perché par rapport au fond de la vallée. En surface, les vitesses de déplacement sont de l'ordre de 1 cm/an à 5 cm/an. Le volume total en mouvement est de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de m³, ce qui ne permet pas d'envisager une solution de stabilisation ou de purge dans des conditions techniques et économiques acceptables. Cette absence de solution envisageable a justifié la mise en place d'une surveillance compte-tenu de la présence d'enjeux en fond de vallée.

Au sein du mouvement de versant, s'individualise une zone présentant des vitesses de déplacement en surface plus élevées (jusqu'à 4,5 m/an en 2013). Cette zone appelée "zone frontale" concerne un volume de plus de 3 millions de m³ de micaschistes très fracturés. Bien que les vitesses de déplacement en surface ont fortement ralenti depuis fin 2013, le scenario d'évolution probable envisage toujours la rupture de la zone frontale en plusieurs phases dans un délai qui ne peut pas être estimé précisément aujourd'hui.

Le niveau de risque a été revu à la baisse depuis le début des années 2010. Plusieurs enjeux ont été déplacés en fond de vallée (expropriations des habitants du hameau de l'Ile-Falcon, déconstruction d'une usine hydroélectrique, nouvelle déviation routière mise en service depuis juillet 2016 sous la maîtrise d'ouvrage du CD38).

Travaux de déviation de la route à risque
Travaux de déviation de la route - Cerema

 

La Romanche fait l'objet de travaux de réaménagement depuis 2013 sous la maîtrise d'ouvrage du SYMBHI pour limiter les risques hydrauliques induits en aval du site. L'effort constant de réalisation de reconnaissances géologiques et d'interprétation a permis d'affiner la compréhension du phénomène géologique au cours du temps.

 

Par bien des aspects, le versant des Ruines de Séchilienne est devenu au fil des ans un cas emblématique de la gestion d'un risque rocheux de grande ampleur en France.

 

Une instrumentation renforcée au fil du temps

Afin de suivre l’évolution et les mouvements du terrain, une instrumentation a été mise en place. Dès 1985, le Cerema (ex-CETE) a été chargé de ce suivi, afin principalement d’observer et de mesurer les mouvements de surface.

Schéma de la zone surveilléeAu fil du temps, le dispositif a été amélioré, et 140 capteurs sont aujourd’hui présents sur la paroi. Ce dispositif de suivi est composé :

  • D’extensomètres manuels et automatisés (capteurs permettant de mesurer l'écartement des fractures),
  • D’un système de distancemétrie infrarouge automatique ( station totale automatisée, réseau de repères fixes de référence et réseau de repères sur le mouvement de versant), qui effectue des mesures de distance depuis le versant opposé.
  • D'un prototype de radar Ultra Large Bande permettant de réaliser des mesures de distance avec une très faible incertitude depuis le versant opposé, quelles que soient les conditions météorologiques.

Ce site est également suivi par une caméra IP et par imagerie de face au moyen d'un appareil photographique depuis le versant opposé, notamment pour identifier les zones de départ des principaux éboulements. 

Vue de l'instrumentation: radar, tachéomètre

Les données récoltées sont ensuite traitées et visualisables via un SIG (Système d'Information Géographique). Un logiciel a été spécialement développé pour gérer automatiquement l'importante masse d'informations générées et constitue un outil d'aide essentiel aux experts en charge de l'interprétation des données.

La surveillance du versant instable est réalisée dans le cadre d'un Plan de Secours Spécialisé, dont la mise en œuvre est pilotée par la Préfecture et la Direction Départementale des Territoires de l'Isère. Lorsque des seuils de vitesse (déplacement et écartement des fractures) sont atteints, une alerte est donnée (il existe quatre niveaux d’alerte) et une expertise scientifique menée.

 

Mieux connaître le phénomène géologique et l'hydrogéologie du site

Entrée de la galerie de reconnaissance
Entrée de la galerie de reconnaissance

En 2009 une instrumentation complémentaire a été mise en place par l'Ineris et le Cerema (mesures géophysiques et sondages instrumentés [1]) pour réaliser des mesures destinées à mieux connaître le phénomène géologique et le contexte hydrogéologique du site.

Ce dispositif a permis de tirer de nombreux enseignements dans le cadre du projet ANR SLAMS (Etudes Multidisciplinaires du Mouvement de Séchilienne : aléa, risques associés et conséquences socio-économiques).

Le site fait toujours l'objet de recherches et d'expérimentations innovantes en matière d'instrumentation et de suivi de mouvements de terrain en collaboration avec plusieurs partenaires universitaires (universités de Grenoble, de Besançon et de Strasbourg) : GPS en quasi-temps réel, écoute microsismique, interférométrie radar, scanner laser en continu et en quasi-temps réel, géophysique 3D, mesures hydrochimiques, etc.

Installation d'instrumentation lors d'expériences universitaires
Instrumentation lors d'expérimentations universitaires - Cerema

Le versant des Ruines de Séchilienne constitue en effet un site très intéressant pour ces expériences par l'existence de données en continu sur une très longue période, par la connaissance relativement fine du mécanisme de déformation du massif rocheux et par l'existence de verrous scientifiques (localisation des circulations d'eau, etc.).

En 2014 et 2015 notamment, une méthode de corrélation d’images de séries de nuages de points construits par photogrammétrie terrestre, destinée à suivre les déformations en surface des mouvements de versants, a été testée avec succès par une équipe du Cerema sur le mouvement de versant de Séchilienne.

En 2016, le Cerema a publié un rapport sur la télédétection et les nouvelles technologies d’instrumentation à distance pour l’observation des glissements de terrain. Ce document présente les dernières innovations en matière de capteurs optiques et micro-ondes, ainsi que leurs atouts et limites.

 

 


[1] Il s’agit de quatre sondages verticaux de 80 et 150 m de profondeur et une galerie de reconnaissance subhorizontale de 240 m de longueur, dite galerie de reconnaissance, ouverte en 1994-1995.

 

 

Dans le dossier Le Cerema accompagne les territoires de montagne dans leurs transitions, en intégrant leurs spécificités et leur diversité

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