Interview d’Emmanuel Perrin et Gilles Bentayou, deux des co-auteurs, sur les enjeux, les leviers d’action pour les territoires, et le rôle du Cerema pour accompagner les collectivités.
Vous avez organisé une conférence au Cerema et rédigé un article sur les enjeux croisés de l’urbanisme et de la mobilité.
Quelles sont les problématiques qui se posent ?
Emmanuel Perrin : Dans un contexte de transition écologique, où l’on cherche à aller vers une ville durable, l’enjeu est tout autant de redonner la place qu’ils méritent aux transports collectifs et aux modes actifs que de désarticuler la ville et la voiture. Depuis la démocratisation de l’automobile, la ville est conçue autour de l’usage de la voiture, et cette articulation de la ville autour de la voiture est toujours très présente.
Gilles Bentayou : L’évolution des lieux de résidence, de lieux de travail et de nos modes de consommation entraîne une sorte d’hypermobilité, une démultiplication considérable des circulations des gens et des marchandises. L’éclatement et l’étalement spatial des fonctions de la ville a été rendu possible par le fait que l’automobile permettait de se déplacer de manière optimale, du moins le croyait-on, entre des lieux toujours plus distants. Le besoin d’automobile est toujours perçu comme une évidence, et n’est pas remis en question.
Emmanuel Perrin : Avec la voiture, on a d’une certaine façon la ville "à la carte", alors qu’avec les transports en commun ou les modes actifs c’est plutôt "au menu" : on ne peut pas toujours se rendre là on veut aller à l’heure où on le souhaite. Mais c’est d’autant plus vrai dans une ville étalée et éclatée, où les transports en commun et les modes actifs restent limités et où la voiture reste le moyen le plus pratique si on veut aller partout.
Gilles Bentayou : le problème est bien celui de la durabilité et de la soutenabilité de ce modèle : dépendre de la voiture, c’est dépendre d’un mode de transport qui prend beaucoup de place, qui contribue fortement à la pollution et au réchauffement climatique, et qui implique des coûts élevés pour la puissance publique comme pour les ménages. L’actualité nous rappelle que certaines catégories de ménages sont particulièrement vulnérables du point de vue des coûts de la mobilité automobile.
Si l’on ne réfléchit pas suffisamment en amont à la juste place qu’on veut donner à l’automobile, elle prendra toute la place, ou presque !
Quelles réponses peuvent apporter les collectivités ?
Gilles Bentayou : Il ne faut pas penser seulement en termes de mobilité, mais aussi d’urbanisme : c’est-à-dire s’obliger à penser et à construire la ville autrement. Si l’on ne réfléchit pas suffisamment en amont à la juste place qu’on veut donner à l’automobile, elle prendra toute la place, ou presque ! Est-ce cela que l’on souhaite pour l’avenir des territoires ?
Emmanuel Perrin : La planification est nécessaire pour avoir une vision globale et à long terme. Cela permet de se mettre d’accord sur le devenir du territoire et d’anticiper les choses. Il est important que la réflexion soit menée et partagée à l’échelle d’un bassin de vie où s’organisent les déplacements quotidiens. L’objectif est de rééquilibrer les choses entre les différents modes, pour que le piéton ou le cycliste ait le même confort que les automobilistes et les usagers des transports en commun.
Gilles Bentayou : Pour partager cette même vision à moyen terme, il faut aussi davantage de dialogue entre acteurs et institutions impliqués dans la mobilité et dans l’urbanisme. La gestion de chaque domaine est toujours très compartimentée alors que la mobilité est indissociable de l’urbanisme : la ville est par essence l’endroit où se concentrent individus et activités, les flux et les échanges sont inhérents au monde urbain. C’est une évidence, mais en pratique, urbanisme et mobilité restent encore très segmentés.
Emmanuel Perrin : Il existe tout de même des outils qui permettent de penser l’évolution des liens entre urbanisme et mobilité à des échelles élargies : le SCoT, le Plan de Déplacements Urbains, voire même le PLU s’il est intercommunal, sont un moyen de se donner un cadre d’intervention en rapport avec des objectifs. L’intérêt de ces démarches, c’est aussi d’orienter les actions d’aménagement menées à des échelles plus fines. En la matière, il n’y a pas de solution "clés en main", il faut combiner différents outils et les adapter en en fonction du contexte, des besoins, pour créer une cohérence. Que ce soit en zone urbaine, périphérique ou dans les territoires peu denses, les questions d’aménagement sont essentielles mais elles n’appellent pas forcément les mêmes réponses.
La mobilité est indissociable de l’urbanisme : la ville est par essence l’endroit où se concentrent individus et activités, les flux et les échanges sont inhérents au monde urbain. C’est une évidence, mais en pratique, urbanisme et mobilité restent encore très segmentés.
En quoi le Cerema peut-il aider les collectivités dans leur démarche ?
Gilles Bentayou : Le Cerema élabore des méthodologies, il accompagne aussi les territoires pour la prise en compte des évolutions législatives ou réglementaires. Notre rôle est aussi de repérer et valoriser les pratiques innovantes, les expérimentations. Le Cerema a ainsi produit et capitalisé énormément de travaux sur des sujets à l’interface entre urbanisme et mobilité. Planification territoriale, planification des déplacements, analyse du coût résidentiel, valorisation des gares, aménagement des pôles d’échanges, contrats d’axes, etc., autant de sujets qui permettent d’accompagner la prise de conscience des enjeux urbains, sociaux et environnementaux de la mobilité.
Emmanuel Perrin : Le Cerema met aussi les collectivités en réseau, en organisant des temps d’échanges, de partages d’expériences, dans des séminaires, des journées techniques, des ateliers avec les collectivités, des formations pour les techniciens ou les services déconcentrés, avec comme atout la transversalité de notre approche, en intégrant les questions de transition énergétique. C’est ce que nous avons fait avec nos collègues Marion Cauhopé et Cyprien Richer avec qui nous avons co-écrit l’article, en animant des ateliers d’échanges avec les acteurs du territoire sur la conception des services dans les gares TER ou encore sur la manière de développer la ville autour de ces gares. Enfin, le Cerema enseigne aussi dans les écoles et universités où sont formés les professionnels de demain, et on se rend compte que la "génération montante" d’aujourd’hui se montre très mobilisée sur ces sujets transversaux.