Fabrice Sirop,
Directeur général d’Artois Mobilités
Pourriez-vous nous présenter en quelques mots "Artois Mobilités" et son périmètre d'action ?
Artois Mobilités est l’autorité organisatrice de la mobilité sur le périmètre des agglomérations de Béthune-Bruay, Artois Lys Romane (CABBALR), Lens-Liévin (CALL) et Hénin-Carvin (CAHC) dans le département du Pas-de-Calais. Artois Mobilités organise le réseau de transports en commun Tadao et d’autres solutions de mobilités sur l’ensemble de son ressort territorial, soit 150 communes dans lesquelles résident près de 650 000 habitants répartis sur plus de 1000 km2.
Le périmètre d’intervention d’Artois Mobilités est unique en France : une population comparable à une métropole comme Nantes, répartie sur une superficie équivalente à un département francilien comme le Val d’Oise, mais aucune commune ne dépassant les 35 000 habitants.
Cette géographie atypique est le fruit de l’héritage de l’activité minière qui a fragmenté l’habitat en plusieurs communes au fur et à mesure de son développement. Aujourd’hui, le territoire d’Artois Mobilités est multipolaire et multipolarisé.
Multipolaire, car il comporte plusieurs centres urbains d’importance : Lens, Béthune, Liévin, Hénin-Beaumont, Bruay-La-Buissière, Carvin et plusieurs zones d’activités majeures : Noyelles-Godault, Douvrin-Billy-Berclau, Ruitz, Dourges (Delta 3), etc.
Multipolarisé, car il s’inscrit dans l’aire d’attractivité d’autres agglomérations, notamment la Métropole européenne de Lille (MEL), mais aussi Arras (CUA) et Douai (CAD).
Toutes ces caractéristiques rendent l’analyse des déplacements complexe et parfois difficile à appréhender à l’échelle du périmètre d’Artois Mobilités.
Vous venez de réaliser une EMC² en 2023. Quelle a été la genèse de ce projet ? Avec quels partenaires avez-vous travaillé ?
Réaliser une enquête mobilité certifiée Cerema EMC² faisait depuis longtemps partie des projets d’Artois Mobilités. Les précédentes enquêtes avaient été réalisées sur l’arrondissement de Béthune en 2005 et sur l’arrondissement de Lens en 2006, et il devenait donc urgent de mettre à jour les données de mobilité. Le projet de refonte du réseau, la mise en service de 7 lignes de bus à haut niveau de service (BHNS) en 2019 et la crise sanitaire ont retardé l’échéance.
Dès janvier 2022, nous avons initié le travail préparatoire nécessaire à la réalisation de l’enquête en partenariat avec les services de la direction territoriale Hauts-de-France du Cerema et de l’agence d’urbanisme de l’Artois (AULA) qui nous ont accompagné sur le plan technique. Les services déconcentrés de l’État (DREAL et DDTM) ont également été associés tout au long du projet pour la réalisation des étapes clefs.
L’objectif était de lancer l’enquête dans les plus courts délais. L’enquête a ainsi commencé en janvier 2023, un an après les premiers échanges. Le Cerema en tant que référent technique et méthodologique nous a accompagné dès les premières phases (conception de l’enquête, aide à la rédaction du cahier des charges…) jusqu’à la formation à l’utilisation des données en passant par tout le suivi du recueil terrain et le post-traitement des données (redressement, enrichissement avec le diagnostic énergie et émissions des mobilités DDEM …).
Pour s'adapter aux besoins des collectivités, le dispositif EMC² est maintenant modulable. Il propose une enquête "cœur" et des enquêtes complémentaires optionnelles standardisées. Vous avez choisi d'activer l'enquête complémentaire "week-end" qui permet d’interroger les personnes sur leurs déplacements du samedi et du dimanche. Quelles ont été vos motivations ? Quels enseignements en avez-vous tirés ?
En tant qu’autorité organisatrice de la mobilité (AOM), nous savons grâce aux chiffres de fréquentation dont nous disposons que les transports en commun sont moins utilisés le week-end.
Le ressort territorial dispose de plusieurs zones commerciales importantes (Porte Nord à Bruay, Lens 2 à Vendin, Aushopping à Noyelles-Godault etc.). L’emploi industriel est par ailleurs surreprésenté. Nous souhaitions avoir des précisions sur les origines et destinations des habitants vers ces principales polarités économiques afin d’optimiser la desserte et pouvoir mieux évaluer le volume de salariés se déplaçant le week-end vers les zones d’activités. En effet, une part importante de l’emploi y relève de l’industrie et de la logistique, secteurs où les rythmes de travail sont souvent décalés.
Vous avez également interrogé les résidents sur le qualificatif qu'ils associent à chaque mode de déplacements (ex : pratique, économique, dangereux, sportif, écologique, ...) ? Pouvez-vous nous dire de quelle manière vous envisagez d'utiliser les résultats ?
La perception des modes de déplacement est un enjeu important. Cette question était présente dans les anciens questionnaires des enquêtes ménages déplacement. Il nous paraissait intéressant de la reposer en 2023. A terme, nus souhaiterions approfondir l’analyse de la perception des habitants à l’égard de tel ou tel mode afin de mieux orienter les actions (notamment commerciales et marketing) en faveur des modes les plus vertueux. Par exemple le vélo, qui bénéficie d’une image positive mais peut être associé à des risques (vol, accident etc.).
Vous avez publié les premiers résultats de votre enquête fin 2023. Avec maintenant un peu de recul, ces résultats vous ont-ils apporté plutôt des surprises ou bien des confirmations sur les pratiques de mobilité des habitants de votre territoire ?
Le doublement de la part des transports en commun de 3% à 6% est venu confirmer les bons chiffres de fréquentation observés sur le réseau depuis la mise en service des lignes de BHNS en avril 2019. Les secteurs ayant bénéficié ces dernières années d’un renforcement considérable de l’offre Tadao ou d’aménagements liés au BHNS ont connu des hausses importantes de l’usage des transports en commun, y compris des communes moins densément peuplées. C’est le cas notamment de l’agglomération de Béthune-Bruay qui ne disposait pas d’un réseau de transports en commun uniforme et aussi développé en 2005 lors de l’enquête précédente, en particulier dans les secteurs les plus ruraux.
A l’inverse, le linéaire d’aménagements cyclables ayant peu progressé depuis 2006, la part modale du vélo n’a pas évolué dans le bon sens.
L'EMC² vous fournit une grande quantité de données sur la mobilité de vos habitants. Pour quelles études ou projets, en particulier, avez-vous prévu de les utiliser ?
Artois Mobilités a déjà commencé à mobiliser les données de l’enquête dans le cadre d’études internes ou portées par l’un de nos partenaires : réalisation d’un corridor cyclable le long d’une ligne BHNS, mise à jour du modèle prévisionnel de trafic routier, études sur l’analyse de l’offre TER, évaluation intermédiaire du plan de déplacements urbains 2019-2030, etc.
Quels sont les grands projets sur lesquels Artois Mobilités est actuellement à l’œuvre ?
Aujourd’hui, Artois Mobilités est sollicité dans le cadre des études pré-opérationnelles du projet de service express régional métropolitain (SERM) Hauts-de-France, piloté entre autres par SNCF Réseau et la Société des grands projets (SGP). Ce projet prévoit le doublement des fréquences de passage des TER en heures de pointe à horizon 2040. Pour atteindre cet objectif, une nouvelle infrastructure s’impose car le réseau ferré existant est saturé, notamment entre Hénin-Beaumont et Lille. Mobiliser les données de l’enquête nous permettra de mieux anticiper les besoins de rabattement vers les gares en transports en commun, et d’échanger avec la Région et la SNCF sur les perspectives d’évolution de l’offre TER à moyen terme.