20 janvier 2023
Avenue de Lyon faiblement éclairée près de la gare
CR - Cerema
Alors que la réduction des consommations énergétiques est une priorité pour les collectivités, agir sur l'éclairage public qui est un poste de dépense très important pour une commune, est une option incontournable. Comment prendre en main ce sujet au niveau d'une commune? Comment construire une stratégie? Paul Verny, Responsable de la mission "éclairage, maîtrise de l'énergie et des nuisances liées à la lumière" au Cerema, présente dans une interview les enjeux et leviers d'action.

Le Cerema possède une expertise en matière d'éclairage public et collabore de longue date avec les collectivités dans ce domaine. Poste de dépense important, l'éclairage public peut être optimisé notamment grâce aux dernières technologies et à la télégestion. Paul Verny, Responsable de la mission "éclairage, maîtrise de l'énergie et des nuisances liées à la lumière" au Cerema, présente dans cette interview les actions possibles.  

 

On parle beaucoup d’éclairage public ces derniers temps : qu’est-ce qui a changé pour les collectivités

rue avec éclairage nocturneLa publication récente de l’arrêté ministériel sur les nuisances lumineuses amène à prendre plus en compte les enjeux de biodiversité et la trame noire lorsqu’on modifie ou installe de l’éclairage urbain, au-delà des seuls aspects énergétiques et objectifs d’économies d’énergie. Si cet arrêté ministériel est encore peu connu dans les communes notamment celles de plus petite taille ou même les entreprises, il a donné aux collectivités des arguments supplémentaires pour moduler/réduire l’éclairage dans un objectif de moindre impact sur la biodiversité, et d’accélérer leur action vers la rénovation des équipements. 

Le Cerema réalise des fiches pour présenter aux collectivités les moyens d’agir en fonction des différentes technologies disponibles. Cet arrêté ne parle pas d’énergie mais sa mise en œuvre peut s’inscrire dans le cadre de la réduction des consommations, il définit notamment des "quotas" de lumière utilisables par les collectivités pour éclairer les voiries et espaces publics, ce qui est nouveau.

Ensuite il y a bien-sûr la crise de l’énergie. En 2017 (source enquête ADEME), la consommation d'éclairage public, bien qu'en réduction d'un tiers par rapport à 2012, représentait encore 32% de la consommation d'électricité d'une collectivité, soit 12% de la consommation toutes énergies confondues et 18% de la facture énergétique. Avec la crise de l'énergie de 2022 et la flambée des prix qui l'a accompagnée, la facture de l'éclairage public a amplement augmenté.

C’est pour cela qu’on observe aujourd’hui une forte augmentation des extinctions nocturnes, qui posent d’autres questions telles que la sécurité qui est de la compétence du maire. Ces extinctions sont gérées de manière à avoir le moins d’impact sur la vie locale, et les communes qui éteignent, et qui sont de plus en plus nombreuses, ne reviennent en général pas en arrière.

 

 

Et puis, il y a les nouvelles technologies qui peuvent permettre de réduire la consommation d’énergie de 70 à 80% en continuant d’éclairer. Nous avons là une grande marge de manœuvre car beaucoup de communes ont encore un éclairage ancien, qui peut remonter aux années 80, avec une très forte puissance installée et des efficiences limitées. 

Pour prendre un exemple, à Sequedin dans le Nord de la France la collectivité est parvenue à 72% de réduction des consommations.

 

Ces économies peuvent être réalisées avec un investissement de 500€ par luminaire en moyenne pour le fonctionnement de base commandé par une armoire. On peut aussi mettre en place de la télégestion, des capteurs qui permettent de piloter plus finement le réseau d’éclairage, fonctionner avec de la détection de présence dans certains lieux qui s’y prêtent... 

 

De quels moyens d’action dispose une commune, quelle que soit sa taille ? 

éclairage nocturne sur les quais à LyonTout d’abord, il faut prendre en compte les différents modes de gestion qui co-existent en France : les communes peuvent décider de fonctionner seules pour exercer la compétence éclairage ou bien la déléguer à l’intercommunalité, à un syndicat d’énergie qui peut avoir plus ou moins de compétences en la matière, ou à une métropole. On a donc une sorte de millefeuille de gestion de l’éclairage public dans les territoires sans réelle homogénéité d’un territoire à l’autre.

La collectivité peut ensuite gérer elle-même l’éclairage en régie ou l’externaliser. Dans ce cas, elle peut passer un marché à performance qui donne au contractant des objectifs chiffrés de réduction de la consommation d’énergie. C’est un outil dont les collectivités se saisissent de plus en plus, cependant les entreprises doivent avoir une expertise et la capacité à réaliser des études pour définir les objectifs de manière réaliste.

Pour pouvoir agir de manière "agile" et fine et sur le long terme, le Cerema recommande de se doter d’outils de pilotage : le système d’éclairage peut être centralisé et géré par ordinateur pour un cout raisonnable, voire en s’appuyant sur les fonctionnalités du compteur LINKY quasiment généralisé en éclairage public.

Les communes agissent souvent déjà mais pour continuer à faire des économies il faut passer par la rénovation du parc :  c’est alors se poser la question du nombre de luminaires, de leur emplacement pour rationnaliser la présence de l’éclairage, des puissances installées, du service attendu…. Parfois leur présence peut être remise en question, ou les luminaires peuvent être améliorés avec des technologies récentes. 

Un autre levier est pour les communes de se regrouper par exemple par l’intermédiaire des syndicats départementaux d’énergie (SDE), ce qui permet de mutualiser les investissements dans des groupements d’achats et de partager les coûts des études comme cela est proposé dans le sous programme d’ACTEE – Lum’Acte porté par la FNCCR. Nous avons des retours d’expérience qui montrent que des achats par groupement peuvent faire baisser les prix de 15 à 20% du fait du volume de commande réalisé.

Enfin, il est important d’effectuer un suivi des démarches et stratégies d’éclairage d’abord pour un suivi au niveau de la commune, puis pour partager les résultats et expériences.

 

Face aux prix en hausse de l’énergie, beaucoup de collectivités ont choisi d’effectuer des coupures de l’éclairage public : est-ce une solution durable ?

Rue de Lyon avec éclairage nocturne et circulationLes coupures sont une solution logique et rapide à mettre en oeuvre dans l’immédiat, appréciée des collectivités, mais qu’il s’agit d’accompagner d’une modernisation des équipements, le parc restant allumé un certain nombre d’heures avant et après les extinctions nocturnes. Des économies supplémentaires sont à faire aussi sur ces périodes. 

Lorsqu’une collectivité rénove son parc d’éclairage, il est intéressant de s’accompagner d’une expertise parce que au-delà d’un parc qui consomme peu, il y a des enjeux biodiversité à prendre en compte dans le projet de rénovation, d’adaptation de l’éclairage aux besoins réels et à leurs évolutions temporelles (semaine, week end, effets saisonniers sur la fréquentation nocturne…), qui permettent d’optimiser la consommation au regard des besoins réels pour la population.

 

Les actions préventives de changement d’équipements peuvent apporter de réels gains au niveau des consommations, mais ces actions restent encore à déployer à grande échelle au regard des investissements nécessaires estimés à plusieurs milliards d’euros d’ici 10 ans. Le pourcentage de LED à ce jour reste inférieur à 25% du parc national qui compterait 11 millions de lampes d’éclairage public.

Pourtant, on sait que l’entretien régulier du réseau permet de dépenser moins d’argent in fine que lorsqu’on agit au coup par coup quand c’est nécessaire. La télégestion est un outil qui permet un certain suivi des équipements et d’anticiper les actions d’entretien.

Nous avons aussi des technologies qui permettent de mieux moduler l’éclairage suivant la période de l’année ou de la journée, suivant les usages et l’emplacement. Par exemple aujourd’hui une rénovation du parc d’éclairage peut permettre de réduire l'intensité de l'éclairage sur certaines plages horaires, et la facture d’énergie à l’arrivée sera moins élevée qu’avec une extinction totale des lumières sur le même créneau horaire. Des projections montrent qu’après rénovation complète du parc d’éclairage et en procédant à des phases d’abaissement des niveaux lumineux, on peut obtenir des consommations équivalentes à celles observées en éteignant partiellement l’éclairage. 

Il s’agit d’investissements que peuvent faire les petites collectivités, mais le financement reste un problème. Les toutes récentes annonces concernant le "fonds vert" activé en 2023 ont permis d’abonder largement les projets de rénovation d’éclairage public qui représentent 37% des dossiers déposés par les collectivités.

 

Quels travaux mène actuellement le Cerema dans le domaine de l’éclairage?  

lampadaires d'éclairage publicLe Cerema travaille sur l’éclairage par rapport aux enjeux de biodiversité, aux enjeux de mobilité et aussi dans le cadre de la smart city, l’éclairage intelligent (ou smart lighting) étant mon domaine d’expertise, et nous croisons ces approches. 

L’éclairage couvre toute une ville et peut permettre de collecter de nombreuses données, distribuées par le réseau vers un point centralisé, et peut devenir la base ou un maillon essentiel du réseau de communication d’une smart city. 

Beaucoup d’expérimentations sont menées actuellement en matière d’éclairage et le Cerema en accompagne certaines, comme l’expérimentation Luciole à Limoges dans le cadre du Comité Innovation Routes et Rues, pour tester ce qu’on appelle un train de lumière qui suit l’usager grâce à la détection lors du passage d’un usager et en fonction de sa vitesse de déplacement selon qu’il soit motorisé, en vélo ou piéton. Le Cerema suit les résultats et les performances du dispositif, qui pourrait être démultiplié.

Dans un autre registre, toujours à Limoges nous accompagnons une expérimentation de CITEOS avec qui le Cerema a co-développé un démonstrateur qui modifie la façon d’éclairer en fonction de l’humidité sur la chaussée et de l’effet "miroir" qui dégrade les performances lumineuses.
 

Nous réalisons aussi un travail de capitalisation et diffusion des connaissances, à travers la production de documents comme les fiches pratiques Aménagement, urbanisme, biodiversité, éclairage, ou des conférences techniques territoriales. Un guide sur la télégestion est aussi en préparation avec la commission éclairage du SERCE. 
Sur le plan stratégique, le Cerema accompagne différents territoires, plutôt des collectivités de taille moyenne (< 30 000 hab.), dans la réflexion sur la modernisation de leur éclairage public.

Par ailleurs, je suis impliqué dans l’Association française de l’Eclairage dont je suis président du Centre Régional PACA, association dont le Cerema est adhérent, et nous avons récemment rédigé une fiche pratique destinée aux collectivités sur les moyens de réduire la consommation liée à l’éclairage en accompagnement des décisions d’extinctions nocturnes. L’AFE est aussi sollicitée dans le cadre des réflexions sur les réglementations en matière d’éclairage. 

Il y a une communauté scientifique et d’experts, qui réfléchit à l’éclairage au regard de la biodiversité, de la sécurité des infrastructures, de l’accessibilité de l’espace urbain en période nocturne, ou encore de l’aménagement urbain en intégrant les nouveaux modes de partage de la voirie urbaine (zones de rencontre, zones 30…). Nous travaillons depuis peu sur la question des bilans carbone en éclairage qui pourraient devenir un critère de choix des projets dans les appels d’offres. Avec l’aide des données fournies par des fabricants d’éclairage et des collectivités, nous sommes en train de définir le périmètre de ce sujet avec des interrogations comme savoir si c’est plutôt la fabrication, la gestion ou la consommation qui présente l’impact carbone le plus important et comment cela fluctue d’un équipement à l’autre (luminaires, mâts, câbles…).

Ce travail permettra de stabiliser des indicateurs et standardiser les données concernant l’impact carbone de l’éclairage. 
Enfin, il faut mentionner la création au 1er janvier 2023 de l’équipe recherche éclairage du Cerema qui sera basée à Angers, et mènera, entre autres, des travaux sur les caractéristiques de réflexion des revêtements en milieu urbain.
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