Quelle formation avez-vous suivie ?
Les choses ont plutôt été simples dans ma vie puisque je me suis toujours dit que j’allais faire de la géographie ! J’ai donc suivi un parcours universitaire dans cette discipline, à Dijon et à Lille, avec une spécialisation dans l’aménagement de l’espace et urbanisme. Mon profil est assez singulier et peu fréquent au Cerema, notamment dans la recherche.
Parlez-nous de votre thèse...
J’ai effectué ma thèse à l’INRETS – Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, l’un des établissements de l’Ifsttar, devenu l’Université Gustave Eiffel –, sur le campus de Villeneuve-d'Ascq. J’ai eu la chance de rencontrer Philippe Menerault qui a été mon directeur de recherche et a beaucoup compté dans mon parcours.
Mon sujet de thèse s'intéresse à l'enjeu des pôles d'échanges pour la coopération intercommunale. Les pôles d’échanges multimodaux sont des aménagements un peu complexes et hybrides car ils associent plusieurs modes de transports – Train, tramway, bus, parking, vélo... –, généralement autour des gares ferroviaires. Ils sont souvent perçus par les différentes institutions comme des lieux importants où on peut intensifier l’urbanisation, créer de l’activité et du logement car ils sont bien desservis. Ils mêlent plein de logiques d’actions et d’acteurs, ce qui est intéressant à observer. Ce sont avant tout des objets politiques… et c’est l’entrée de mon sujet de thèse, dans un contexte de forte évolution des institutions inter-communales depuis le début des années 2000.
Les thèses en aménagement associent une dimension théorique à une dimension très opérationnelle.
Elles constituent véritablement une réflexion sur l’action, et notamment sur l’action publique dans le cas de ma thèse, et participent à améliorer le fonctionnement des territoires.
Quand considérez-vous que vous êtes devenu chercheur ?
L’année de mon DEA, en 2003, a été charnière dans mon parcours. J’ai eu l’occasion de participer à un premier projet de recherche qui allait préfigurer mon sujet de thèse, avec l’INRETS et des universités. J’ai beaucoup appris et commencé à entrer dans le bain du métier de chercheur.
© Cerema
Quel a été votre parcours en tant que chercheur ?
J’ai eu la chance de rester dans le monde de la recherche à partir de ma thèse. J’ai enchaîné sur des contrats de recherche, dans différents laboratoires. En 2008, j’ai décroché un poste d’attaché temporaire d'enseignement et de recherche à l’Université de Lille. En 2009, j’ai effectué un post doctorat au laboratoire CNRS ThéMA de Besançon. J’ai été recruté dans la foulée comme maître de conférences à l’Université de Strasbourg, avec pour objectif de participer au montage d’un master d’urbanisme.
En 2011, je suis revenu sur un poste de chargé de recherche au CETE Nord-Picardie, devenu depuis le Cerema. Je dis "revenu" car ce que j’ai apprécié pendant ma thèse, c’est un environnement de chargé de recherche, avec des liens assez étroits avec des établissement comme le CERTU – un autre ancêtre du Cerema –, au contact des collectivités et de la manière dont se construisent les politiques publiques. C’est cette posture-là, passionnante dans ma discipline, que je cherchais à mon arrivée au Cerema… et que je suis très heureux d’avoir trouvé !
Au Cerema, les profils sont hétérogènes : il y a des chercheurs, des ingénieurs, des techniciens. On a une capacité de mobilisation qui est hyper intéressante.
La recherche s’est progressivement structurée. À l’époque, je faisais partie d'une équipe de recherche associée avec l’Université Gustave Eiffel sur les mobilités. Il y a ensuite eu une phase de structuration de la recherche au Cerema. Cela a abouti au "mariage" avec une équipe de CY Cergy Paris Université et la création de l’unité mixte de recherche MATRiS, née au 1er janvier 2022.
L’équipe de CY Cergy Paris Université nous ressemble : elle travaille en géographie et en aménagement principalement, avec une approche pluridisciplinaire, sur les questions de transports et de mobilités ; elle se questionne sur les marchandises et les voyageurs ; sa taille et sa composition sont équivalentes à la nôtre. On s’est bien trouvé et cela nous ouvre des perspectives assez enthousiasmantes, notamment en matière de formation et d’enseignements universitaires. Nous étions également beaucoup à partager le même collectif de recherche et à nous connaître – notamment Richard Železný dont le parcours est un peu similaire au mien et avec qui j’ai partagé plein de moments (cf. encadré ci-dessous).
Cyprien Richer avec une partie de l’équipe MATRiS – dont Richard Železný (au centre ; cf. encadré ci-dessous) –
aux Rencontres Francophones Transport Mobilité (RFTM) à Dijon, en juin 2023
© Cerema
Sur quoi portent vos recherches ?
Sur trois grandes thématiques. Premièrement, les politiques de transport et la gouvernance. Par exemple, on est en train de publier un ouvrage avec le GRALE – le Groupement de Recherche sur l'Administration Locale en Europe – sur des sujets de gouvernance des mobilités, suite à la loi d’orientation des mobilités. Une de mes approches a directement un pied dans l’institutionnel, les outils, les moyens des institutions publiques d’agir sur les mobilités.
Un deuxième levier consiste à comprendre les pratiques de la mobilité et de l’intermodalité. On se situe au niveau des usagers. Pourquoi et comment se déplacent-ils ? Pour faire quoi, pour aller où ? Et quand ils changent de mode, qu’est-ce qui pose problème, quelles sont les pénibilités éventuelles de ce moment de correspondance ? Ce deuxième plan se nourrit véritablement de l’équipe, au Cerema à Lille, avec des approches qualitatives réalisées par le sociologue Joël Meissonnier et des approches quantitatives, à travers les enquêtes de mobilité certifiées par le Cerema – les fameuses EMC2 ! – qui permettent d’avoir un regard représentatif de l’évolution de certaines pratiques de mobilité.
Un dernier volet concerne l’interface urbanisme / transport. La demande de transport générée par la localisation de nos activités constitue le principal levier de décarbonation de la mobilité. Il y a donc un vrai enjeu de planifier autrement, d’organiser les villes pour qu’elles soient beaucoup plus sobres en déplacements. Ce n’est pas un petit sujet, c’est majeur. Aujourd’hui on n’a plus le choix, Il faut se déplacer moins, en tout cas moins loin, et valoriser la proximité dans la mobilité du quotidien.
Dans le cadre de vos projets de recherche, avez-vous collaboré avec des entreprises ?
Nous travaillons régulièrement avec des bureaux d’études et avec des partenaires, en réponse à des appels à projets.
Nous avons également réalisé plusieurs contrats de recherche avec la SNCF, auparavant sur la grande vitesse ferroviaire, aujourd’hui sur d’autres projets comme celui du Train Léger Innovant. Ce dernier vise à concevoir un nouveau matériel ferroviaire adapté aux lignes de desserte fine du territoire : plus léger, autonome, modulable, moins cher en exploitation. Notre approche est locale : Comment ce mode de transport innovant peut-il s’insérer dans les territoires ? Quel écosystème peut être mobilisé pour améliorer l’intégration de ce nouveau train dans des zones peu denses ?
Quels projets de recherche vous ont particulièrement marqué ?
À mon arrivée au Cerema, j’ai été mobilisé sur le projet Interreg Sintropher, piloté par l’éminence de mon domaine, l’urbaniste Peter Hall, avec plusieurs collectivités européennes associées. L’objectif était d’évaluer la performance des réseaux de tramways qui desservaient les périphéries urbaines. Un projet compliqué mais enrichissant, qui montrait notamment une singularité française dans le modèle décisionnel, avec une prégnance de la décision politique… parfois difficile à expliquer à des Anglais !
Plus récemment – 2020-2024 –, le projet ANR URFé sur l’aménagement de l’espace urbain et les mobilités à faible impact environnemental. On travaille sur l’apparition de nouveaux engins de mobilité, par exemple les trottinettes qui sont arrivées assez massivement dans les centres-villes ces dernières années. On a un croisement d’approches entre aménagement, politiques publiques, géographie et des spécialistes de la sécurité routière. C’est aussi la continuité d’un collectif de recherche qui existe depuis longtemps sur les usages de la voirie dans différentes configurations territoriales.
Notre particularité est qu’on ne mène pas que des projets de recherche. Je travaille beaucoup pour des communes labellisées par l’ANCT "petites villes de demain". On leur apporte un diagnostic, un éclairage sur les possibilités en matière d’aménagement autour des gares mais aussi sur le processus décisionnel et le jeu d’acteurs. C’est du terrain, on est dans la vraie vie ! Cela me permet aussi de puiser des discours et des problématiques qui viennent nourrir des approches et des réflexions de recherche.
Une ou plusieurs fiertés professionnelles ?
L’accompagnement des étudiants, et notamment des doctorants. Dans mon parcours, cela s’est vraiment beaucoup développé ces dernières années. C’est une fierté de pouvoir leur transmettre ce que j’ai reçu, et de faire en sorte qu’ils s’épanouissent dans le milieu de la recherche.
Par ailleurs, dans ce milieu, on est très content quand on a publié des articles ou participé à des colloques internationaux. Mais dans ma discipline, on a aussi des moments où l’on peut mesurer plus directement l’impact de nos propositions et accompagnements. Nous avions par exemple mené une mission exploratoire sur les usages du pôle d’échanges de Saint-Brieuc qui a été rénové : nos préconisations ont été largement suivies par la communauté d’agglomération, c’est une fierté.
Cyprien Richer en compagnie de deux doctorants
© Cerema
Quelles sont les qualités requises pour réussir en tant que chercheur ?
La curiosité d’abord. Il faut avoir envie de gratter un peu, de regarder ce qu’il y a dans les zones d’ombre. Mais aussi de se former, de progresser dans la connaissance.
Naturellement il faut une certaine rigueur, sur des champs ayant un besoin de méthodes pour pouvoir en dégager des tendances et des enseignements.
Et il faut être habité par le doute, avoir l’impression que rien n’est évident. Se questionner en permanence sur nos différentes approches et sur les solutions préconisées.
La posture de chercheur appelle à beaucoup d’humilité car elle est toujours en apprentissage : de nouvelles connaissances, de nouvelles méthodes, de nouveaux résultats…
Si vous deviez vous décrire en trois adjectifs ?
Passionné. On a beaucoup de chance d’avoir un travail qui permet des apprentissages tout au long de la vie et qui est basé sur des rencontres. C’est vraiment épanouissant.
Impertinent : on a une certaine liberté, parfois fragile mais importante. Les chercheurs s’engagent, partagent des positions, communiquent. On a la capacité de bousculer les organisations et les façons de faire : si on ne le fait pas, qui peut le faire ?
Convivial. C’est important dans les collectifs de travail, cela nous permet véritablement de nous engager dans nos missions. Les pauses café sont aussi importantes que le reste !
Le Cerema est labellisé institut Carnot avec Clim’adapt : qu’est-ce que cela représente pour vous en tant que chercheur au Cerema ?
C’est une bonne chose qu’on puisse créer des écosystèmes et des moyens permettant d’amplifier nos approches et notre impact. Tout en gardant bien à l’esprit que ce qui fait la valeur du Cerema, c’est qu’il s’agit d’un établissement avec des missions publiques et une utilité sociétale, à travers un enjeu qui nous gouverne tous : maintenir une planète habitable pour tous les vivants. Le label Carnot constitue un levier pour mobiliser les acteurs socio-économiques et avancer ensemble vers cet objectif.
Le mot de la fin ?
Attention aux fausses routes – technologiques –, l'avenir de la mobilité marchera à la sobriété et sur les rails de l'innovation sociale !
Cyprien RICHER vu par...
Depuis quand connaissez-vous Cyprien ?
On dit que le hasard n’existe pas mais avec Cyprien, on se demande si ce n’est pas le cas ! On ne s’est pas rencontré physiquement mais on a été successivement membre du Laboratoire Ville Mobilité Transport (LVMT) à Marne-la-Vallée, qui fête ses 20 ans d’existence. Cyprien y a soutenu sa thèse en 2007 et j’y suis arrivé l’année suivante pour effectuer mon doctorat.
J’entendais beaucoup parler de lui car je m’intéressais aussi au sujet des pôles d’échanges multimodaux. Ce qui me passionne depuis toujours, c’est l’interface transport / urbanisme, et la gare en est la première incarnation. Quand j’étudiais la littérature de recherche, je tombais très souvent sur des publications écrites par Cyprien.
J’ai ensuite été amené à participer aux séminaires scientifiques du LVMT. J’étais étudiant et Cyprien faisait partie des chercheurs confirmés qui me donnaient des conseils. Je l’ai également côtoyé lors de conférences comme le Transportation Research Arena (TRA) ou dans le cadre du projet européen Sintropher (cf. portrait ci-dessus). On s’appréciait déjà à l’époque. Anecdote : le premier article scientifique que j’ai rédigé a été évalué par Cyprien !
Comment avez-vous vécu la mise en place du projet d'équipe partagée – UMR MATRiS – et quels bénéfices tirez-vous de cette nouvelle organisation ?
Cela a été salué par tout le monde, à maints égards. Sur le plan collectif, cela a un vrai intérêt pour les chercheurs dans les domaines de l’aménagement et de l’urbanisme. Pour CY Cergy Paris Université, c’était assez logique de s’associer au Cerema qui est connu, reconnu et très orienté vers l’opérationnel et interdisciplinaire. Nos objets de recherche le sont par essence.
Sur le plan personnel, cela me convient encore plus. J’ai un profil d’ingénieur et ce que fait le Cerema est souvent très technique, dans le bon sens du terme. J’ai toujours été à cheval entre la recherche pure et l’opérationnel. J’ai consulté de nombreux documents édités par le Cerema et développé un véritable respect vis-à-vis de cet établissement. Je m’intéresse aussi à la question de l’agencement des espaces urbains et notre rapprochement me permettra de consolider cet intérêt pour des sujets à l’échelle plus micro.
Sur quels projets de recherche travaillez-vous en commun avec Cyprien ?
Le projet Train Léger Innovant qui a commencé avant même la création officielle de l’UMR MATRiS (cf. portrait ci-dessus). Il était assez naturel qu’on se retrouve avec Cyprien au sein de ce projet qui concerne des petites lignes ferroviaires censées améliorer dans les années à venir la desserte fine des territoires. Nos profils disciplinaires respectifs sont très complémentaires – Cyprien est géographe et s’intéresse beaucoup à la dimension institutionnelle ; j’ai un point de vue d’ingénieur urbaniste et m’attache aux aspects plus opérationnels et fonctionnels –, nous avons donc de larges perspectives en commun.
Cyprien et moi avons également pour objectif de publier en commun. Nous en avons discuté ensemble lors des Rencontres Francophones Transport Mobilité (RFTM), en juin à Dijon.