Vignette d'illustration
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Transflash Septembre 2015 (n°400)
La frontière franco - suisse à Jougne, où a eu lieu l’expérimentation (© DIR Est)

Hervé Fagard, chef du département « Études, Observatoires et Sécurité Routière » à la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) de Franche-Comté et Alexis Bacelar, chargé de projets « Exploitation et gestion dynamique des trafics, gestion multimodale des déplacements » au Département Mobilités du Cerema Centre- Est viennent de tester un outil innovant de mesure de l’occupation des véhicules qui sera notamment utile pour le développement du covoiturage. Transflash les a rencontrés pour en savoir plus.

 

Comment la Dreal de Franche-Comté s’est -elle impliquée dans cette expérimentation et pourquoi avoir choisi de la réaliser au niveau de la plateforme douanière de Jougne/Vallorbe sur la RN57 ?

Acquisition d’images par les
caméras infrarouge lors de la
période de pointe du matin
(4 h 30 - 8 h) (© Cerema)

Hervé Fagard : Le nombre de travailleurs frontaliers résidant en Franche - Comté et travaillant dans l’un des quatre cantons de l’ « Arc jurassien suisse » a doublé entre 2002 (14 440) et 2013 (28 800) [1].
Les flux de déplacements induits se concentrent sur quatre à cinq points principaux de fran- chissement de la frontière, dont la RN57 via le poste frontière de Jougne / Vallorbe qui recueille les flux en provenance de Pontarlier et environs, vers Vallorbe, Yverdon et Lausanne notamment. L’essentiel des déplacements se fait en voiture individuelle. Cela se traduit par de forts encombrements aux heures de pointe du matin et du soir. Au niveau du poste frontière de Jougne / Vallorbe, il passe plus de 3 000 véhicules entre 5 h et 8 h dans le sens France → Suisse, sur un total d’environ 7 000 véhicules par jour.
Dans le cadre des recommandations du Schéma des mobilités transfrontalières de la Conférence Trans-Jurassienne [2] (CTJ), la Dreal de Franche - Comté a réalisé à l’automne 2012, en coopération avec le Cerema, une enquête auprès des travailleurs frontaliers automobilistes, sur leurs pratiques et leur ressenti vis-à-vis du covoiturage.
L’étude a montré qu’un tiers environ des conducteurs pratiquait déjà le covoiturage de manière régulière ou occasionnelle, qu’un tiers y songeait et que le tiers restant n’était pas intéressé. D’autre part, au moment de l’enquête, un relevé manuel du nombre d’occupants des véhicules a montré que 85 % des véhicules étaient occupés par leur seul conducteur pour un taux moyen d’occupation de 1,2 personne par véhicule. Il existait donc une bonne marge de progression pour la pratique du covoiturage. Une étude récente réalisée par le cabinet Trafalgare, relative à l’amélioration du franchissement de Pontarlier par la RN57 (en aval de Jougne sur le trajet vers la Suisse), a montré en outre qu’un recours nettement accru au covoiturage était le seul moyen de stabiliser les flux, compte tenu de l’augmentation à attendre du nombre de travailleurs frontaliers d’ici à 2025.

Dans la continuité de ces deux études, et dans le cadre de la veille technologique qu’il assure, le Cerema nous a contactés pour expérimenter un dispositif de détection automatique du nombre d’occupants dans les véhicules. Le fait de réaliser une telle expérimentation sur le site de Jougne / Vallorbe était pour nous l’occasion de disposer de données plus fines sur le taux d’occupation des véhicules, et ce sur une plus longue période.
En plus de l’obtention de ces données, cette expérience était l’occasion pour la Dreal de communiquer avec le grand public sur le sujet du covoiturage via les principaux médias locaux.

Comment le Cerema en est-il arrivé à proposer, concevoir et mener cette expérimentation?

Le capteur

Alexis Bacelar : Le covoiturage est actuellement en plein essor. La possibilité de mesurer automatiquement et avec précision le nombre d’occupants d’un véhicule devrait permettre une avancée significative dans la mise en place de nouvelles applications et infrastructures liées à cette pratique.

Or il faut rappeler que, jusqu’à aujourd’hui, la mesure automatique du nombre d’occupants d’un véhicule à partir du bord de la route ne se faisait pas avec une grande précision [3]. C’est aux États - Unis, pays où sont exploitées plusieurs centaines de kilomètres de voies réservées aux véhicules avec un nombre d’occupants élevés (NOE), que les tentatives de mettre au point un tel système ont été les plus nombreuses. Malgré des essais, la précision obtenue lors des tests n’était pas assez élevée pour une mise en œuvre in situ. Le contrôle aux États - Unis était donc fait majoritairement manuellement par les forces de police, avec tous les risques d’accidents et d’erreurs de comptage que cela implique. Face à cette lacune, le Cerema a souhaité mobiliser son expertise en métrologie et en évaluation de nouveaux capteurs pour f aire le point sur les dernières innovations technologiques. L’enjeu pour le Cerema était de faire évoluer sa méthodologie d’évaluation de nouveaux capteurs et, pour ce qui touche au covoiturage, d’accompagner le déploiement de ce nouvel outil de mesure sur les territoires. Cette première européenne a d’ailleurs montré la forte mobilisation des partenaires publics et privés concernés.

Comment avez-vous monté le projet?

Vues du capteur Xerox mesurant le
covoiturage avec prise d’images de face
(pare- brise) (© Cerema, XEROX)

Alexis Bacelar : C’est fin 2013, avec la première évaluation d’un capteur Xerox aux États - Unis, que ce système a acquis assez de maturité pour pouvoir être utilisé avec une précision intéressante (> 90 %) dans le déploiement des nouveaux services à la mobilité et, en particulier, la mesure du taux d’occupation des véhicules.
À l’issue de cette première évaluation et d’une démonstration du système au congrès ITS de Détroit en septembre 2014, nous avons contacté la société Xerox afin d’expérimenter ce capteur.
La Dreal Franche - Comté était intéressée et nous avons contacté la direction interdépartementale des routes (DIR) Est afin de pouvoir positionner le système sur le bas-côté de la RN57 et de réaliser l’expérimentation dans de parfaites conditions de sécurité (balisage, déviation…).
L’accord de principe de Xerox a été conditionné au financement d’une partie de l’expérimentation par les partenaires publics, ce qui a été possible avec le concours de l’Ademe et de la DIR Est.
Il a fallu en outre lever quelques obstacles avant de pouvoir mettre en place l’expérimentation. Le premier obstacle touchait au respect de la vie privée, dans la mesure où la technologie développée s’intéressait non pas au véhicule mais directement à ses occupants, dont il s’agissait de mesurer le nombre. La CNIL a préconisé de ne pas identifier physiquement les occupants des voitures (floutage des visages et des plaques d’immatriculation dès l’acquisition des images, …). Xerox a adapté dans ce sens son algorithme de traitement d’images. Il a fallu aussi s’assurer de l’acceptabilité de la démarche en faisant un travail d’information adapté : diverses actions de communication (communiqués de presse, site web, tracts téléchargeables, messages radio, panneaux informateurs, …) ont ainsi été réalisées auprès des usagers traversant la frontière France - Suisse. Enfin, il a fallu s’assurer de pouvoir stocker le capteur Xerox, qui est encombrant et lourd (plusieurs centaines de kilos) pendant les nuits et fins de semaines.

Hervé Fagard : La Dreal a surtout eu un rôle de pilotage du projet, aux côtés du Cerema et de Xerox. Le soutien logistique local a été essentiellement assuré par la DIR Est, avec un appui précieux du service des Douanes.

Quels sont les premiers résultats de cette évaluation?

Vues du capteur Xerox mesurant le
covoiturage avec prise d’images de côté
(© Cerema, XEROX)

Alexis Bacelar : Cette expérience nous a permis d’évaluer la précision du dispositif et d’avoir une connaissance plus fine du nombre d’occupants des véhicules (pas de passagers, un passager, un passager ou plus à l’avant ou à l’arrière, deux passagers ou plus). Les prédictions du dispositif pour la période de pointe du matin (4 h 30 - 8 h) sont exactes à plus de 97 % . Il est important de signaler que la mesure du nombre de passagers arrière (un ou deux passagers), qui posait auparavant problème, s’est révélée très précise, avec 97,8 % de bonne détection. Le nombre d’occupants moyen par véhicule, quant à lui, a pu être estimé à 1,2 sur trois matinées, ce qui valide le comptage manuel effectué en 2012 sur une matinée.

Hervé Fagard : Les premiers chiffres relatifs au taux d’occupation moyen des véhicules et au pourcentage d’auto- solistes sont en effet en parfait accord avec ceux du comptage, plus ponctuel, réalisé à l’automne 2012. Ils semblent donc montrer que, malgré les initiatives mises en place, la pratique effective du covoiturage n’a que peu évolué depuis plus de deux ans.

Il existe donc maintenant un outil précis et fiable de mesure du covoiturage. En quoi, à votre avis, va-t-il intéresser les collectivités?

Alexis Bacelar : Outre le contrôle des voies réservées aux véhicules avec un nombre d’occupants élevés , ce capteur présente d’autres fonctionnalités qui peuvent intéresser les collectivités et les autorités organisatrices de la mobilité. Il permet par exemple de mesurer l’impact de toute incitation au covoiturage comme, par exemple, la mise en place de parkings de covoiturage ou de mesures donnant la priorité aux véhicules covoitureurs, par exemple à l’entrée des parc-relais ou sur les bretelles d’accès aux voies rapides.

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