Objectif : cartographier les aléas d'effondrement
Dans le cadre de la révision de leur Plan Local d’Habitat, les communes de Chartres de Bretagne et de Bruz, en collaboration avec Rennes-Métropole, maître d'ouvrage de l'opération, ont entrepris d’engager une étude spécifique afin de cartographier les aléas d’effondrement sur leur territoire.
L’aléa se définissant comme la probabilité d’apparition d’un phénomène en un endroit donné dans un intervalle de temps donné. Dans le cas présent, le phénomène concerne l’effondrement de cavités souterraines anthropiques.
En tant qu’assistant au maître d’ouvrage, le laboratoire régional de Saint-Brieuc du Cerema était chargé de la réalisation du cahier des charges et du suivi de l’étude menée par la société Lithologic et, en sous-traitance, la société SismOcéan.
L’étude s’est déroulée en deux étapes, de mai 2007 à juin 2008 :
- avec, au préalable, une étude bibliographique basée sur une analyse de documents historiques (archives départementales, communales,…), et des photographies aériennes dans le but de recenser les cavités et les effondrements présents sur le secteur et de préciser leur géométrie. Cette première phase a été, dans le même temps, complétée par une inspection sur le terrain.
- puis une prospection géophysique, avec une phase test suivie de mesures étendues à toute la zone. La phase test avait pour objectif de choisir les méthodes géophysiques les mieux adaptées au contexte géologique et à la localisation des zones susceptibles de présenter un risque d’effondrement.
Le contexte géologique
Au sein du massif Armoricain, la région de Rennes où se situe l’étude, se développe majoritairement sur des formations de schistes et de grès d’âge précambrien à paléozoïque recouverts par les limons et les alluvions de la Vilaine et de ses affluents. Cependant diverses transgressions cénozoïques ont favorisé le développement de bassins d’effondrement argilo-calcaires paléocènes à pliocènes.
Durant les siècles derniers, les calcaires ont été extraits pour l’agriculture (amendement) ou l’industrie (production de chaux) à partir de carrières à ciel ouvert ou d’exploitations souterraines accessibles par un puits. Aujourd’hui abandonnées, de nombreuses exploitations se sont effondrées et ont été comblées. Mais il reste encore des exploitations souterraines, sans indice de surface permettant de les localiser, qui s’effondrent régulièrement probablement à la suite de circulations d’eau ou de battements de la nappe.
L’étude bibliographique
Elle mentionne deux types d’exploitation : des carrières à ciel ouvert qui pouvaient atteindre près de 3 hectares et plus de 40 m de profondeur, comblées en fin d’exploitation (en 1930 pour les dernières) et des carrières souterraines, exploitations plus artisanales que les précédentes, à l’origine des effondrements recensés sur le secteur. L’extraction se faisait par un puits de 1 à 2 m de diamètre et de 10 à 25 m de profondeur. A partir de la base du puits rayonnaient des galeries, parfois sur 3 étages superposés, de 4 à 5 m de large et 3 à 4 m de haut pour une longueur maximum de 40 m.
L’analyse des documents d’archives (déclarations de sinistres, cartes), et l’étude des photographies aériennes montrent un maximum d’effondrements suivant un couloir Nord-Sud, de 1,5 km de long pour 250 m de large, correspondant à l’alignement des exploitations à ciel ouvert. Les effondrements diminuent en s’écartant de ce couloir car les exploitations souterraines profitaient certainement du rabattement de nappe dans les carrières à ciel ouvert pour se développer. L’arrêt des exploitations superficielles a entraîné une remontée de la nappe à l’origine, très certainement, des effondrements constatés à partir des années 30.
Les effondrements recensés sont de deux types : des effondrements d’un diamètre inférieur à 2 m et ceux d’un diamètre supérieur à 5 m. Les premiers pouvant atteindre de grandes profondeurs (jusqu’à 25 m) correspondent à d’anciens puits d’accès et les seconds d’une profondeur de 4 à 5 m à des chambres ou à des galeries d’exploitation.
A l’issue de cette première phase, une carte de densité des effondrements a pu être établie. Cependant, il subsistait de nombreuses incertitudes que les investigations géophysiques devaient tenter de lever.
L’étude géophysique
L’objectif de l’étude géophysique était, dans un premier temps de délimiter la zone de calcaire, formation où se situent les cavités et ensuite d’investiguer les zones où il subsistait des doutes. Au préalable, une phase test a été effectuée sur une parcelle de la zone d’étude afin de déterminer les méthodes les plus adaptées dans ce cadre.
Phase test
Quatre méthodes ont été mises en oeuvre pour ce test : le panneau électrique, le V.L.F, la microgravimétrie et la sismique par ondes de surface (méthode DCOS).
La première méthode, le panneau électrique, donne une vision en coupe de la répartition en profondeur des matériaux dans le sol par l’intermédiaire de leur résistivité. Elle est bien adaptée compte-tenu du contraste de résistivité marqué entre les formations calcaires et argileuses.
Le VLF, comme la méthode précédente, apporte des informations sur la résistivité du sous-sol, mais ne donne pas de vision en coupe. Elle est intéressante pour localiser de grandes variations lithologiques (contacts entre les calcaires et les argiles par exemple), des accidents ou des axes de plus grande résistivité (alignement d’effondrements par exemple).
La microgravimétrie basée sur la mesure de la variation de la pesanteur à la surface du sol due à des défauts ou à des excès de masse en profondeur et la méthode sismique DCOS (Détection de Cavités par mesure d’Onde de Surface) devaient permettre de localiser des vides ou des zones décomprimées.
Le DCOS s’appuie sur les caractéristiques de propagation des ondes de surface et sur l’interaction qu’elles peuvent avoir avec tous types d’anomalies rencontrées. Le bruit sismique anthropique ambiant est mesuré et son énergie est analysée de manière relative afin de détecter ses variations qui seraient conséquentes d’anomalies présentes dans le sol (Durand et al, 2006, Mouton et al, 2007).
Après une validation par sondages, deux méthodes ont été retenues : le panneau électrique effectué par la société Lithologic et la sismique DCOS réalisée par la société SismOcéan. La première méthode a fourni des informations sur la géologie et permis la cartographie à grande échelle de secteurs décomprimés à forte résistivité. La seconde méthode a localisé avec précision (échelle métrique) des cavités et des zones décomprimées en profondeur (jusqu’à 18 m de profondeur).
Pour la phase test en sismique DCOS, les sondages ont porté sur des anomalies de fortes amplitudes (relatives), et enracinées en profondeur pouvant correspondre à des puits d’extraction, des montées de fontis. Les anomalies étendues horizontalement n’ont pas été prioritaires car elles pouvaient être le fait d’effets latéraux (un vide qui n’est pas à l’aplomb du dispositif créé une "ombre" plus importante).
La figure ci-dessous présente un résultat de sismique DCOS, réalisée sur la zone test, avec la position d’un forage.
La profondeur exprimée en longueur d’onde peut être estimée en profondeur « réelle » de façon empirique en divisant par 2 à 3 la longueur d’onde.
Le vide, situé entre 14 et 18 mètres par forage, correspond à une anomalie DCOS enracinée en profondeur et de forte amplitude.
Prospection étendue
La prospection géophysique a été étendue à l’ensemble de la zone d’étude avec, dans un premier temps, des mesures par panneaux électriques (44 panneaux en dipole-dipole de 64 électrodes).
Les mesures de résistivité apparente obtenues ont, ensuite, été inversées (res2Dinv) pour remontée à un modèle de répartition de la résistivité en profondeur.
Sur les cartes de résistivités apparentes (voir figure suivante) apparaît une zone centrale plus résistante (80 ohm.m en moyenne) de calcaire (confirmé par sondages) bordée de zones plus conductrices (15 ohm.m en moyenne) d’argiles, avec ponctuellement des secteurs de plus forte résistivité (140 ohm.m en moyenne) correspondant à des recouvrements sablo-graveleux ou de faluns.
C’est dans l’axe de cette bande calcaire orientée NNE/SSW que se situe la majorité des effondrements recensés en étude bibliographique.
La transition, à l’ouest de la zone d’étude, entre les calcaires et les argiles est relativement brutale (contact par faille…) comme le montrent les panneaux électriques et le confirment les sondages effectués sur cette zone. Par contre, la formation calcaire semble s’amincir vers l’est de la zone d’étude avant un passage progressif aux formations argileuses. A noter, le recouvrement par des formations plus résistantes à l’ouest, de sables, galets et faluns.
Les panneaux ont, ensuite, été complétés par trois séries de deux profils sismiques parallèles (680 points de mesures) recoupant des anomalies électriques et des zones d’incertitudes, notamment dans le secteur est de la zone où le calcaire s’amincit.
Des anomalies de deux types ont été mises en évidence par la sismique DCOS : des anomalies « allongées » à 4-5 m de profondeur et des anomalies « verticales » (enracinées) s’enfonçant de 3 à 15 m.
Forages de reconnaissance
Quatorze forages de reconnaissance ont été effectués pour caler les résultats des investigations géophysiques.
Ils confirment, en particulier, l’amincissement de la formation calcaire vers l’est, de 30 m à environ 10 m d’épaisseur, mis en évidence par les panneaux électriques et la présence de vides ou de zones décomprimées essentiellement sous les anomalies DCOS « verticales ».
Conclusion
En complément de l’étude bibliographique, la prospection géophysique a permis :
- de cartographier précisément la géologie de la zone d’étude et notamment les limites du calcaire en contact, sub-vertical à l’ouest et progressif à l’est, avec les formations argileuses. L’amincissement de la formation calcaire s’accompagnant d’un passage à des exploitations superficielles (épaisseur inférieure à 10 m).
- de localiser des cavités ou des zones décomprimées dans des secteurs sans indice de surface en mettant en évidence une extension des exploitations souterraines vers l’est de la zone à forte densité d’effondrements, définie en étude bibliographique.
Compte-tenu des éléments fournis par l’étude bibliographique complétée par l’étude géophysique trois niveaux d’aléas correspondant à une probabilité d’occurrence d’effondrements faible, moyen à fort ont été définis, avec :
- Aléa Faible : jamais d’effondrement constaté ou recensé, contexte géologique défavorable à l’extraction de calcaire (argiles), zone éloignée de plus de 250 m des carrières (hors du rayon d’influence du rabattement de nappe des carrières superficielles), niveau calcaire ≤ 10 m.
- Aléa Moyen : zones sans indice de surface mais présentant des anomalies géophysiques, dans un contexte géologique favorable (niveau calcaire > 10 m).
- Aléa Fort : effondrements répertoriés dans un secteur de forte densité de puits et de galeries et dans un secteur géologique extrêmement favorable, avec des niveaux calcaires jusqu’à 30 m, zone proche des carrières à ciel ouvert.
Le respect de ces critères a, ensuite, conduit à l’élaboration d’une carte d’aléas d’effondrement, s’accompagnant de dispositions techniques constructives, qui devrait être soumise à enquête publique en fin d’année.
Remerciements à Rennes-Métropole, et aux communes de Chartres de Bretagne et Bruz pour leur collaboration.
Références
- Durand D., Mouton E., Grandserf P., Nieberidze S. (2006) - Détection d’anomalies dans le sous-sol à partir d’ondes de surface. Méthode DCOS, AGAP Qualité- GEOFCAN Besançon 2006, pp. 44-47
- Mouton E., Durand D., Clement A. Mériaux P. (2007) - Recherche d’anomalies dans les digues par ondes de surface (MASW et DCOS) : application sur le site expérimental de l’Agly (66) - GEOFCAN - AGAP qualité, Géophysique des sols et des Formations Superficielles, 6ème colloque, Bondy, France, 25 et 26 Sept 2007