Déterminer la multifonctionnalité des sols en milieu rural
Choix des fonctions des sols retenues dans le projet
L’approche par fonctions écologiques (en vert sur la figure 1), c’est à dire celles permettant à l’écosystème de fonctionner sans prendre en compte les usages qu’en fait l’homme et les enjeux/contraintes liées à ces usages, a été choisie au détriment des fonctions anthropiques (en orange sur la figure 1), jugées trop limitatives car anthropocentrées. Cependant, la distinction entre ces deux notions reste complexe, certaines fonctions qui bénéficient aux écosystèmes bénéficient aussi à l’Homme (exemple : la fonction régulation du cycle de l’eau, la source de biomasse).
De plus, les fonctions dites évolutives dans le temps ou dynamiques (ex : régulation du cycle des nutriments) ont été mises de côté car complexes à appréhender. En effet, les données associées aux Référentiels Régionaux Pédologiques sont "datées" et parfois anciennes. Ainsi, il a été choisi de n’utiliser que les données correspondant aux caractéristiques pérennes des sols.
En ce sens MUSE ne s’intéresse pas directement aux services écosystémiques ou services rendus à l’homme. L’objectif est ici de sensibiliser les acteurs des territoires au sol et à ses caractéristiques et de s’éloigner de la seule vision du sol support d‘aménagement.
La fonction du sol support de paysage telle qu’introduite dans la figure 1 constitue un élément prioritaire à la vision des sols. Elle n’est pas renseignée ici par des indicateurs mais les "Pédopaysages et paysages du territoire" doivent faire l’objet d’une partie à part entière dans le rapport de présentation des sols.
Mise en garde Le projet MUSE ne considère que les fonctions écologiques des sols et utilise les caractéristiques pérennes des sols ce qui limite le nombre de fonctions renseignées. |
Choix, calcul et cartographie des indicateurs de fonctions des sols
La multifonctionnalité d’un sol est donc déterminée ici par sa capacité à remplir les quatre fonctions présentées auparavant. Chaque fonction va d’abord être caractérisée individuellement par des calculs d’indicateurs et seront agrégées, par la suite, pour calculer l’indice de multifonctionnalité.
Les indicateurs choisis sont précis, simples à construire et à coût maîtrisé, exploitables sous forme cartographique, faciles à mettre en œuvre et à interpréter. Ils sont construits à partir de plusieurs paramètres issus de précédents projets (TUSEC-IP, URBAN SMS, UQUALISOL-ZU)
La méthode de calcul des indicateurs et de l’indice de multifonctionnalité en milieu rural est décrite dans la figure 2.
Méthode directe utilisant des données brutes
Les calculs d’indicateurs associés aux fonctions de source de biomasse et de régulation du cycle de l’eau, présentés ci-dessous, font appel aux données brutes issues des Référentiels Régionaux Pédologiques (RRP) à 1/250000ème au format Donesol. Mais cette méthode n'exclut pas la possibilité d’exploiter des informations plus précises soit par des données acquises précédemment et accessibles soit par l’acquisition de données complémentaires.
La représentation de cette fonction s’appuie sur un indicateur de potentiel agronomique d’un sol qui permet de caractériser les sols les uns par rapport aux autres en termes de système de production, que cela soit des grandes cultures ou bien des prairies (cf. Figure 3).
1. Source de biomasse:
Le calcul de cet indicateur intègre les paramètres pédologiques suivants :
- réservoir utile,
- texture de surface,
- pH,
- profondeur du sol
- charge en éléments grossiers.
Ces critères sont non hiérarchisés et sont chacun répartis en classes et notés. L’addition des notes de chaque critère permet d’attribuer une classe de potentiel agronomique au type de sol concerné ou Unité Typologique de Sol (UTS). Les classes sont notées de 1 à 5 (1 étant le potentiel agronomique le plus faible et 5 étant le plus important).
La représentation spatiale de l’indicateur se fait au niveau de l’Unité Cartographique de sol (UCS). Une UCS peut contenir de 1 à plusieurs UTS présentant des modalités de potentiel agronomique différent, il y a donc nécessité d’agréger l’information pour représenter une seule modalité par UCS. Le choix de représentation va se faire sur la modalité dominante. C’est-à-dire que pour chaque UCS, les pourcentages des UTS présentant la même note sont sommés, la note dont le pourcentage est le plus important dans l’UCS, sera retenue comme valeur pour l’UCS.
La méthode ne s’arrête pas à la caractérisation d’un potentiel agronomique puisqu’elle permet également de caractériser le sol en indiquant si des contraintes fortes peuvent s’opposer à une bonne aptitude agronomique du fait d’un engorgement en eau très fort, d’une pente excessive ou d’une salinisation. Chaque contrainte fait ainsi l’objet d’une carte complémentaire à superposer à la fonction production de biomasse. Ces contraintes peuvent être rédhibitoires pour la production de telle ou telle culture et vont nécessiter une adaptation des pratiques ou une reconversion vers une occupation adaptée (exemple : prairie saline du Mont St-Michel). Ces contraintes seront affinées en fonction de la résolution des données pédologiques disponibles.
Enfin, la méthode est basée sur les paramètres intrinsèques aux sols, c’est-à-dire sur des propriétés dites statiques, peu variables au cours du temps (sauf pour le pH de surface). Mais le potentiel agronomique dépend également de propriétés dites dynamiques, comme la teneur en nutriments dans les sols. Ces paramètres dépendent beaucoup de l’usage du sol et des intrants par exemple en nitrates, phosphates ou autres par les agriculteurs et ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’indicateur.
2. Régulation du cycle de l'eau
L’indicateur choisi ici afin de traduire la fonction d’un sol à réguler le cycle de l’eau a pour objet de déterminer le potentiel (aussi nommé sensibilité) de ce sol à infiltrer l’eau (cf. Figure 4).
Cet indicateur dépend des critères intrinsèques au sol suivants :
- présence d’un niveau imperméable,
- texture,
- degré d’hydromorphie
- perméabilité du sol (obtenue par une fonction de pédotransfert).
Ces critères sont non hiérarchisés et sont chacun répartis en classes et notés. L’addition des notes de chaque critère permet d’attribuer une classe de potentiel d’infiltration au type de sol concerné ou Unité Typologique de Sol (UTS). Les classes sont notées de 1 à 5 (1 étant le potentiel d’infiltration de l’eau le plus faible et 5 étant le plus important). Tout comme pour le potentiel agronomique, il est nécessaire d’agréger l’information pour représenter une seule modalité par UCS.
Le choix de représentation va se faire sur la modalité dominante. C’est-à-dire que pour chaque UCS, les pourcentages des UTS présentant la même note sont sommés, la note dont le pourcentage est le plus important dans l’UCS, sera retenue comme valeur pour l’UCS.
La méthode prend également en compte un critère rédhibitoire extérieur au sol qui est la pente et dont le seuil est fixé à 10%.
Mise en garde L’échelle de validité des cartes de potentiel agronomique et de potentiel d’infiltration de l’eau reste celle des données d’origine (1/250 000ème). Attention donc à ne pas interpréter ces données à une échelle inférieure. En effet, ces cartes sont réalisées grâce aux données des Référentiels Régionaux Pédologiques et les notes, spatialisées sur les grandes surfaces que sont les UCS, sont hétérogènes car elles proviennent en réalité de la modalité dominante et ne sont donc pas entièrement représentatives d’une UCS. Des cartes informant du pourcentage de représentation de l’information, soit la somme des pourcentages des UTS présentant la même modalité au sein d’une UCS, accompagnent chaque carte d’indicateur. Enfin, ces cartes ne couvrent pas les zones urbaines où les données des RRP manquent. L’acquisition d’une information pertinente reste la solution à privilégier, sous la forme de données anciennes vérifiées ou par l’acquisition de données nouvelles. |
Méthode indirecte utilisant des données statistiques
Les fonctions réservoir de carbone et réservoir de biodiversité du sol sont représentées par des indicateurs qui se basent sur des données statistiques issues de moyennes régionales ou nationales agrégées par type d’occupation du sol.
3. Réservoir de carbone
La fonction réservoir de carbone est liée à la couverture végétale et passe par la détermination de l’indicateur de stock potentiel de carbone dans les sols. Ces données sont disponibles dans un outil développé par l’ADEME, l’outil ALDO. Il permet une estimation :
- de l’état des stocks de carbone organique des sols,
- de la biomasse et des produits bois (litière) grâce à des valeurs par défaut agrégées à un type d’occupation des sols pour chaque EPCI.
Ces valeurs de stock sont ensuite classées et notées de 1 à 5 (1 étant le stock de carbone le plus faible et 5 étant le plus important). Pour pouvoir les spatialiser, les types d’occupation des sols utilisés dans l’outil ALDO sont rattachés à ceux utilisés dans la nomenclature Corine Land Cover disponible sur tout le territoire national.
Afin de pouvoir croiser cet indicateur avec ceux caractérisant les autres fonctions que remplit le sol, il est important de représenter cartographiquement les quatre indicateurs sur les mêmes unités de référence à savoir les polygones d’UCS. Pour les données de stock de carbone, une moyenne des valeurs de stock des différentes occupations de sol pondérée par leurs surfaces est réalisée pour chaque polygone d’UCS. Les valeurs obtenues sont ensuite reclassées afin d’obtenir les notes d’indice final de stock de carbone organique dans les sols et la litière allant de 1 à 5, suivant la même logique que précédemment (cf. figure 5).
Le choix de représenter la fonction de réservoir de carbone dans les sols par le seul stock de carbone potentiel contenu dans ces sols peut être discuté. En effet, la fonction de réservoir s’exprime également en notion de flux.
De plus, l’outil ALDO se base sur des moyennes régionales significatives et statistiquement valides, qui peuvent cependant masquer des hétérogénéités au niveau local. L’application à une échelle infrarégionale de valeurs moyennes régionales doit donc être réalisée avec précaution. Il est important de vérifier leur validité. Pour cela, il serait pertinent d’avoir les écarts-types associés aux moyennes, ou bien les valeurs médianes des stocks de carbone. Ces données ne sont pas communiquées dans l’outil ALDO.
De plus, les valeurs pour le sol concernent seulement les 30 premiers centimètres du sol. Or en moyenne, toutes occupations de sol confondues, on considère qu’il y a encore 50% du carbone sous les 30 premiers cm (Cambou, 2018). Il serait ainsi intéressant de travailler sur des données intégrées sur des profondeurs de sol plus grandes.
Enfin, il est important de préciser que le stock de carbone présent dans les sols ne dépend pas uniquement de l’occupation du sol mais aussi des pratiques effectuées sur ce sol, du climat et des propriétés inhérentes à chaque typologie de sol.
4. Réservoir de biodiversité du sol
Pour cette fonction, l’indicateur de biodiversité se base sur des données qui renseignent au niveau national des valeurs moyennes d’abondance en vers de terre et de diversité spécifique des vers de terre d’un sol en fonction du type d’occupation du sol. Ces données sont disponibles sur le site de l’Office National de la Biodiversité.
Chacun des deux jeux de données est mis en classe et noté de 1 à 5 (1 étant l’abondance ou la diversité la plus faible et 5 étant la plus importante), puis les notes attribuées sont sommées afin d’obtenir l’indicateur de biodiversité qui est lui aussi mis en classe et noté de 1 à 5.
Pour pouvoir spatialiser l’indicateur pour les trois collectivités, les types d’occupation des sols utilisés par l’Observatoire National de la Biodiversité sont rattachés à ceux utilisés dans la nomenclature Corine Land Cover disponible sur tout le territoire national.
Tout comme pour le stock de carbone, une moyenne des notes d’indicateurs présentes dans chaque polygone d’UCS pondérée par leurs surfaces est réalisée et ainsi qu’une reclassification de la note d’indice de biodiversité pour obtenir une note finale de 1 à 5, selon la même logique (cf. figure 6).
Le choix d’approcher la fonction de réservoir de biodiversité dans les sols seulement par l’abondance et la diversité spécifique lombriciennes contenues dans ces sols est questionnable. Certes ces paramètres peuvent d’une certaine manière traduire la qualité d’un sol, néanmoins, cette fonction peut être caractérisée par de multiples autres paramètres tels que la biomasse microbienne ou bien la diversité taxonomique bactérienne ou fongique.
De plus, les données de l’Observatoire National de la Biodiversité se basent sur des moyennes nationales qui masquent certainement des hétérogénéités au niveau local. L’application à une échelle infranationale de valeurs moyennes nationales doit donc être réalisée avec précaution.
Enfin, il est important de préciser que la biodiversité présente dans les sols ne dépend pas uniquement de l’occupation du sol mais aussi des pratiques effectuées sur ce sol, du climat et des propriétés inhérentes à chaque typologie de sol.
D’autres cartes thématiques ont été produites dans le cadre du projet MUSE sur la base des données sols. On peut notamment citer la Carte d’aptitude des sols à l’épuration qui peut appuyer la politique d’assainissement non collectif des collectivités. Cette carte s’appuie ainsi sur la méthode Serp qui identifie la texture, la profondeur, la nature du sous-sol et l’hydromorphie comme des paramètres clefs de l’épuration des sols.
Déterminer la capacité potentielle des sols urbains à exercer tout ou partie des fonctions associées à des sols naturels
En l’absence de données pédologiques sur les sols urbains, il n’est pas possible de développer la même approche qu’en milieu rural. Il a alors été choisi de proposer un proxy permettant de qualifier de manière empirique la capacité potentielle d’un sol à exercer tout ou partie des fonctions d’un sol naturel.
Lien entre profondeur de sol et capacité à exercer tout ou partie des fonctions associées
Malgré l’absence de bases de données afin de qualifier les sols urbains, il est proposé dans le cadre du projet MUSE de s’en approcher par le biais de l’épaisseur des sols avec une multifonctionnalité potentielle du sol augmentant avec son épaisseur (cf. Figure 8) :
- concernant les fonctions liées à un stock, plus un sol est épais, plus l’indicateur lié à la fonction est important : c’est le cas pour les fonctions de réservoir de biodiversité du sol, réservoir de carbone et stockage de l’eau.
- concernant la fonction de flux liée à l’infiltration de l’eau : le sol est une composante que l’eau, une fois la capacité au champ atteinte, traverse pour éventuellement aller rejoindre une nappe phréatique en sous-sol. La fonction d’infiltration de l’eau peut donc être assurée quelle que soit son épaisseur à condition que les propriétés intrinsèques du sol et du sous-sol soient compatibles avec cette infiltration.
- concernant la fonction de source de biomasse, celle-ci est avant tout liée au choix d’aménagement fait sur l’espace considéré et fonction, de façon indirecte, de l’épaisseur des sols.
L’épaisseur du sol en milieu urbain constitue donc un indicateur de sa capacité potentielle à exercer ces fonctions. Le terme "potentielle" est très important car les usages et pratiques liées aux sols (e.g. tassement, contamination) constituent des facteurs d’influence majeurs sur les organismes du sol et les fonctions qu’ils assurent (Guilland, 2018). Ainsi en milieu urbain le processus majeur de la pédogenèse est lié à l’homme alors qu’en milieu naturel ce sont les facteurs naturels qui vont influer (matériau parental, climat, relief, végétation, temps).
La notion de pleine terre représente alors un optimum de multifonctionnalité potentielle des sols urbains. Il s’agit d’un espace non artificialisé, dans la mesure où tout ou partie des fonctions qu’il exerce ne sont pas affectées par le processus d’artificialisation. Un espace de pleine terre s’entend également par sa continuité latérale.
Détermination de la capacité potentielle d'un sol urbain à exercer tout ou partie des fonctions associées à un sol naturel
Dans la suite du propos, nous supposons que les sols urbains, mis à part les sols relictuels des parcs et jardins anciens assimilables aux sols pseudo-naturels, ont fait l’objet d’un aménagement. Les données de profondeur de sols n’étant pas disponibles en milieu urbain, nous considérons que la capacité des sols à exercer toute ou partie des fonctions associées à un sol naturel peut-être appréciée grâce au states de végétation (cf. Figure 9).
La méthode consiste à déterminer l’occupation dominante des sols au sein du périmètre choisi, ici les zones urbanisées non caractérisées par les Référentiels Régionaux Pédologiques.
Pour cela, les données utilisées sont les couches à haute résolution au format raster du programme européen Copernicus pour l’année 2018 disponibles sur le territoire national :
- La couche "imperméabilisation" donne la distribution spatiale des zones artificiellement scellées grâce à une valeur en pourcentage du taux d’imperméabilisation par pixel de 10 m x 10 m.
- La couche "densité du couvert arboré" fournit un niveau de densité de couverture forestière compris entre 0 et 100% par pixel de 10 m x 10 m.
La capacité des sols à exercer toute ou partie des fonctions associées à un sol naturel est déterminée en partant du principe que les sols urbains, abritant de manière dominante une végétation de type arborée, seront considérés comme des sols profonds ayant une capacité optimale à exercer les fonctions associées à un sol naturel. A contrario, les sols à dominante imperméabilisée comme le bâti et les routes seront considérés comme des sols ayant une capacité nulle.
Entre les deux, les sols urbains dont la couverture dominante ne serait ni imperméabilisée ni arborée seront assimilés à des sols ayant une capacité intermédiaire à exercer certaines fonctions associées à un sol naturel (cf. figure 10).
Les autres livrables du projet MUSE: