INTERVIEW - Un éclairage de demain, sobre, plein de bon sens et d'intelligence - Gaël Obein, président de l'AFE
Interview de Gaël OBEIN
Maître de conférence HDR au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et président de l’Association Française de l’Éclairage (AFE)
De nombreuses villes ont décidé, depuis l'été 2022, de mettre en place des périodes nocturnes d'extinction de l'éclairage public. Quelles sont pour vous les conséquences de ces décisions massives intervenues pourtant quelque peu dans la précipitation ?
Nous traversons une crise énergétique sévère. Un nombre important de communes se sont retrouvées dans une telle situation qu'elles ne pouvaient plus payer les factures et il a fallu faire des choix dans l'urgence. On a baissé la température des piscines municipales. On a éteint l'éclairage public en cœur de nuit. Souvent, il n'y avait pas d'autre alternative.
J'ai vu cela comme une expérimentation intéressante. J'habite en ville et je suis matinal. Cette lumière intrusive blafarde qui rentre par le Vélux et éclaire mon domicile quand je me lève, je ne l'aime pas. Elle me dérange. J'avoue donc que le jour où je me suis levé et qu'il faisait complètement noir chez moi suite à la coupure de l'éclairage de ma rue, j'ai vraiment apprécié. De plus, j'arrivais à me réjouir que les petits rongeurs, les insectes et les oiseaux qui peuplent ma ville s'en réjouissaient également.
Quelques jours plus tard, ma fille partait en voyage scolaire et il fallait l'emmener au Lycée à 4h30 du matin. Lorsque que l'on est sorti dans la rue noire, elle m'a dit « oula, c'est comme ça la nuit ici ? C'est super glauque ». Nous en avons discuté sur le chemin et il est clair qu'elle ne sortirait pas seule la nuit dans ce noir.
Tout est là je pense. L'extinction la nuit, les gens qui restent chez eux l'apprécient. Mais voyons la réalité en face. Si l'on supprime complètement l'éclairage public des rues, on crée un contexte anxiogène et de facto, on force les anxieux, les jeunes filles ou les personnes âgées à rester à la maison.
Alors ? Est-ce que c'est cela notre choix de vie dans la ville de demain ?
Ce n'est pas mon choix. Je pense qu'il faut maintenir un minimum d'éclairage dans les rues. Mais il faut absolument prendre conscience que les choses ne peuvent pas rester en l'état. Il faut des initiatives pour supprimer la lumière intrusive blafarde que j'évoquais tout à l'heure. Cette lumière pollue la vie des citoyens en ville, perturbe l'écosystème, consomme de l'énergie et ne va pas sur la route. Elle génère un mécontentement important.
Je pense qu'il faut maintenir un minimum d'éclairage dans les rues. Mais il faut absolument prendre conscience que les choses ne peuvent pas rester en l'état.
Les innovations technologiques apparues ces dernières années (détection, plage d'abaissement plus large...) ne permettent-elles pas de proposer une continuité de l'éclairage public tout en assurant des économies d'énergie importantes ?
Elles le permettent entièrement, complètement, à 100% !!
Nous le savons tous, la technologie LED a un rendement bien meilleur que celui des autres sources. A flux lumineux égal, on consomme donc moins d'électricité. C'est un très bon début pour économiser de l'énergie. Mais il n'y a pas que cela ! La LED est une source lumineuse minuscule. Cette propriété, si on l'associe à un système optique performant, permet de maitriser la forme du faisceau lumineux et de le diriger là où il doit aller avec une meilleure précision. C'est le même principe que les phares des voitures. Ainsi, lorsque l'installation est bien dimensionnée, quasiment toute la lumière disponible va sur la route, et non vers le ciel, vers les fenêtres des habitations ou vers les bosquets où nichent nos oiseaux. Moins de lumière perdue, c'est aussi des économies d'énergie. Enfin, la LED peut être graduée, ce qui n'est pas le cas des sources traditionnelles. Avec cette technologie, il devient possible de moduler l'intensité de l'éclairage en fonction de l'heure de la nuit ou du taux de fréquentation de la place du village. Là encore, en exploitant cette propriété, on économise de l'énergie, tout en conservant la fonctionnalité initiale, celle d'assurer (et de rassurer) les déplacements.
Les villes qui ont rénovées leur éclairage et qui tirent aujourd'hui profit des 3 avantages que je viens d'évoquer ont fait un retour à l'AFE. On parle d'une diminution moyenne de la facture énergétique de 70%, tout en conservant un éclairage public qui assure son rôle.
Avec la technologie LED, il devient possible de moduler l'intensité de l'éclairage en fonction de l'heure de la nuit ou du taux de fréquention de la place du village.
Les modèles d'éclairage utilisés de longue date et développés majoritairement pour l'usager en situation de conduite motorisé ne doivent-ils pas évoluer pour prendre en compte les nouvelles pratiques de déplacement dans nos villes ?
Nous voyons bien que la ville évolue à toute vitesse en ce moment. Nous abandonnons le schéma axé sur le « tout pour la voiture » pour retourner vers les modes de transport doux. Il était temps. Alors bien sur, dans ce contexte, les modèles d'éclairage développés pour un conducteur de 4L aux phares jaunes roulant à 80 km/h sont obsolètes, inadaptés et doivent évoluer d'urgence.
Mais dans le monde normatif, l'inertie est énorme. De plus, j'ai l'impression qu'elle pâtit de l'immobilisme d'une arrière-garde qui pense toujours que « c'était mieux avant ».
Cependant, restons factuels et positifs. Les modèles sont périmés, mais, depuis plus de 15 ans, la plupart des professionnels de l'éclairage s'adaptent et remettent en question la pratique et les niveaux d'éclairement pour atteindre plus de sobriété tout en exploitant des solutions innovantes. Après rénovation, on se réjouie de voir ici une piste cyclable éclairée par des bornes d'1,25 m, qui permettent à l'usager de voir le chemin et au parc alentour de rester dans le noir. On apprécie l'éclairage tout juste supérieur à celui que procure une pleine lune dans ce quartier résidentiel de la ville en cœur de nuit. Ces pratiques intelligentes et vertueuses existent et sont l'avenir de l'éclairage.
J'espère que les normes et les modèles vont rapidement évoluer pour permettre d'entériner et d'encourager ces bonnes pratiques. Je sais que les chercheurs du CEREMA sont très impliqués dans ce travail et l'AFE les soutient.
Les modèles sont périmés, mais, depuis plus de 15 ans, la plupart des professionnels de l'éclairage s'adaptent et remettent en question la pratique et les niveaux d'éclairement pour atteindre plus de sobriété tout en exploitant des solutions innovantes.
Comment voyez-vous l'évolution de l'éclairage public dans nos villes dans les années à venir ?
Je le vois sobre, pleins de bon sens et d'intelligence.
Sobre car la pratique de l'éclairage doit évoluer pour limiter son empreinte sur la biodiversité et aider à réduire la facture énergétique. Cela veut dire qu'il faut éclairer moins, en utilisant des sources plus efficaces. Cela veut dire également qu'il faut tirer profit de la possibilité qu'offre la LED de pouvoir sculpter les faisceaux pour n'éclairer que là où il faut éclairer et laisser le reste dans l'obscurité.
Plein de bon sens car on n'éclaire pas une piste cyclable comme la place d'un village et on n'éclaire pas une place de village comme on éclaire un quartier résidentiel. Il faut bannir le dogme au profit de la remise en question permanente, du dialogue avec les usagers, et de la recherche de solutions qui apportent le compromis.
Intelligent car les technologies actuelles permettent de gérer les niveaux. Ainsi, l'éclairage peut être à la fois irréprochable à 18h pour la sortie des écoles, abaissé en cœur de nuit, adaptatif pour raccompagner les usagères sans anxiété exagérée à la fermeture des bars.
L'Association française de l'éclairage : en savoir +
L'Association française de l'éclairage (AFE) est une association à but non lucratif qui produit des études et des recommandations pour rendre accessible à tous les meilleures pratiques de l'éclairage afin de garantir le respect des besoins humains. Elle participe à des travaux de normalisation (à l'international comme au niveau national) en lien étroit avec le Cerema, les professionnels de l'éclairage et d'autres partenaires scientifiques. Elle s'attache à la valorisation et à la diffusion des bonnes pratiques au cours de colloques, séminaires, formations... relatifs à l'éclairage.