La 11e édition des Assises du Port du Futur se sont tenues du 22 au 24 septembre à Paris avec l'ambition de répondre aux défis que connaissent les ports français. Retour sur les échanges des huit tables rondes, qui ont réuni les grands acteurs du domaine portuaire autour des enjeux économiques, environnementaux, numériques notamment.
Ces onzièmes assises des ports du futur qui se sont tenues à quelques jours des assises de l’économie de la mer à Nice se sont situées dans la dynamique créée à la fois par la nouvelle Stratégie nationale portuaire dévoilée au mois de janvier de cette année et par France Relance.
Ouverture des assises
Dans son propos introductif Philippe Joscht directeur du Cerema Résilience, eau et mer a tenu à remercier spécialement le comité d’organisation de ces journées, composé de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) pour le ministère en charge de l'environnement, du Cluster Maritime Français, de l’Union des Ports Français, des pôles Mer Bretagne Atlantique et Mer Méditerranée, du pôle de compétitivité I-Trans et de la FNAU qui ont été rejoints pour cette édition par Haropa port, nouvellement créé en juin 2021 et par Orange Cyberdefense qui a sponsorisé l’événement.
Ces onzièmes assises ont marqué un tournant avec la participation d’un nombre conséquent de dirigeants et de responsables portuaires et avec le caractère très stratégique de nombre de sujets abordés dans ces tables rondes liées à la Stratégie Nationale Portuaire (SNP) ou avec l’introduction de sujets nouveaux comme ceux du marketing, de la structuration de la R & D portuaire, voire de l’histoire des ports.
Stéphane Raison qui a préfiguré Haropa, puis en a pris la direction générale il y a quatre mois, a rappelé dans la séance introductive que le rythme d’évolution des activités économiques s’était considérablement accéléré au cours de cette période de transition qui s’ouvre pour les ports, ce qui rendait d’autant plus pertinent l’exercice de ces assises d’imaginer des solutions d’avenir valables pour les ports.
La fusion des trois ports de l’axe Seine a d’ailleurs donné envie aux ports d’Anvers et de Zeebruges appelés à fusionner prochainement de savoir comment s’était passée cette fusion aboutissant à Haropa. Celle-ci vient d’être suivie en France par le lancement d’une réflexion décidée par la présidence de la République pour les ports de l’axe maritime et fluvial de Marseille à Lyon. Les trois transitions énergétique, écologique et numérique décidées lors de la SNP donneront lieu à la mise en place d’un volume d’investissement de l’ordre de 1,45 G€ de 2020 à 2027 ce qui représente un effort inédit. Haropa représente aujourd’hui la première plateforme pétrochimique française et ses trafics en dépendent pour 50%.
Ces assises ont aussi été honorées par la présence de la Ministre de la Mer, Annick Girardin qui a rappelé que le Président de la République porte une ambition forte pour les ports. Pour la ministre, il existe comme une forme de décalage entre la puissance maritime nationale et les actes à poser en conséquence, en matière de marine marchande ou de ports. Elle pose l’ambition que les 70 ports de commerce français deviennent d’ici 2030 le premier système portuaire européen et que la valeur ajoutée actuelle du système portuaire français qui atteint 15 G€ croisse significativement, car celle du système portuaire belge atteint 25,5 G€ et celle du système portuaire néerlandais 55 G€.
La Stratégie Nationale Portuaire porte quatre ambitions :
- Regagner des parts de marché
- Accélérer la TEE : 175 M€ ont déjà été donnés aux ports par le plan de relance
- La transition numérique et l’innovation
- La création de valeur ajoutée sur les territoires
Il faut faire davantage pénétrer la mer dans les terres et renforcer l’hinterland grâce aux modes ferroviaires et fluviaux. Avec Haropa, Paris est devenue une capitale maritime et un défi politique de même nature existe pour les ports de l’axe Marseille-Lyon.
Session 1/ La transition économique
La première session comportait deux tables rondes, l’une dédiée au marketing portuaire et la seconde aux transports massifiés.
Table ronde n° 1 : Marketing portuaire, les nouvelles clés du succès
Sous la direction du professeur Alexandre Lavissière, Nihdi Prasad, étudiante à Kedge Business School, a rappelé les quatre fondamentaux du marketing des ports : la connaissance du marché, la promotion, le lobbying et l’animation de la communauté portuaire. Un travail réalisé par une douzaine d’étudiants a comparé le marketing opéré par les sept Grands Ports Maritimes (GPM) métropolitains et les ports fluviaux de Paris, de Lille et de Lyon avec les ports des deux rangées Nord et Sud et avec un ensemble d’autres ports européens. La perspective internationale et l’importance des réseaux d’affaires ont été soulignés.
Sabrina Losio et avec Elodie Morin-Rager de Business France ont rappelé l’importance des événements organisés à l’étranger avec la Team France Export d’une part et avec la Team France Invest, ainsi que l’attractivité des zones labellisées clefs en main par Territoire d‘industrie en mentionnant aussi le partenariat entre BF et les agences régionales de développement ainsi que les GPM. Un questionnaire "supply chain" pour les prospects permet de flécher plus vite les projets sur les ports. Pour la filière hydrogène par exemple, des événements ont été montés avec les pays d’Europe du Nord et avec les régions portuaires partenaires aux USA.
Philippe Stefanini, Directeur Général de Provence Promotion a évoqué le dossier Hexcel, entreprise américaine qui s’est implantée à Salaise-sur-Sanne près de Lyon en 2018, plutôt que sur la zone de Fos, et a créé un électrochoc qui a conduit les acteurs locaux à travailler en partenariat. Suite à cette collaboration, 65 implantations ayant induit 1300 emplois dont une dizaine sur la zone de Fos ont été dénombrées en 2020. Le succès de Quechen, fabricant chinois de silice à haute performance destiné à réduire la consommation énergétique des pneus, a été obtenu après un parangonnage mené auprès de 23 sites ce qui a permis à l’industriel de gagner 20% en coût de production.
Dans le cadre de ce partenariat, un travail avec le Grand Port Maritime de Marseille a été réalisé par filière en identifiant les signaux faibles. Ce travail d’intelligence économique a permis d’identifier 250 entreprises cibles. Pour les filières de développement des trafics, les réseaux d’affaires sont très utiles, et trois zones géographiques ont été identifiées : la Chine, l’Inde et les pays du Golfe. Sur cette dernière zone, Business France a rebondi en indiquant que l’Exposition universelle de Dubaï se déroulerait du mois d’octobre 2021 au mois de mars 2022 avec une thématique par quinzaine dont, sur la dernière quinzaine ( du 18 au 31 mars), celle des océans qui serait propice à des networking tant sur le pavillon de la France que sur les autres pavillons présents à l’Exposition.
Daniel Deschodt du Grand Port Maritime de Dunkerque a insisté sur la collaboration engagée au sein de Norlinkports dans les Hauts-de-France, ce qui a entre autres permis de créer un Norlink ferroviaire. Il a rappelé que Dunkerque est le premier site à avoir été labellisé Territoire d’industries, sites clefs en mains pour sa Zone de Grande Industrie.
Le remplacement des traditionnelles AOT sur le domaine public a donné lieu à des baux à construction sur le domaine privé du port. Quant au Brexit, il a permis au port de s’adapter au niveau des procédures de passage aux frontières grâce à la mise en place d’un Service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (SIVEP), d’ouvrir de nouvelles lignes sur l’Irlande et a servi de catalyseur au développement du short sea, si bien que le trafic conteneurs (plus faible que sur les deux autres portes d’entrée majeures que sont Haropa et Marseille/Fos) connaît une forte croissance grâce à l’importance du transbordement (40% à 42% des flux).
Enfin pour Haropa, Nathalie Wagner a évoqué la structuration en corridor, qui constitue un facteur différenciant, et le rôle de facilitateur joué par le Douanes. Elle est revenue sur les succès des implantations d’Ikea à Limay, de Goodman à Gennevilliers (entrepôt à 4 étages avec une ferme urbaine sur le toit de l’entrepôt) ainsi que celui de JJA qui est revenu d’Anvers, il y a dix ans et vient de consolider ses flux avec cette implantation d’un entrepôt en blanc de 95 000 m2. Elle a aussi mis en avant la collaboration avec l’ISEL sur la modélisation des données clients, ce qui permet de mieux appréhender les logistiques de bout en bout.
Les débats qui s’en sont suivis ont porté sur la question de cohérence des politiques de façades et sur le cas de l’outre-mer, tandis qu’Alexandre Lavissière a rappelé comment les ports d’Anvers et de Rotterdam exercent une vraie force d’influence grâce notamment à l’excellente porosité des acteurs entre logistique, opérateurs de terminaux et ports. Il a aussi mentionné qu’on serait passé progressivement d’un marketing centré sur la performance portuaire, puis sur sa compétitivité pour aller aujourd’hui sur le sujet de leur attractivité, avant de passer à la création de valeur ajoutée.
Table ronde n° 2 La massification des transports de pré-post acheminement : les services qui font la différence
Alors que les transports massifiés ont fait l’objet d’objectifs de croissance de parts de marché significatives depuis des décennies, un élément nouveau est la collaboration en France des deux modes massifiés intérieurs (si on laisse de côté les pipelines et le short sea) entre SNCF Réseau et VNF qui ont d’ailleurs passé une convention de partenariat.
Ainsi pour Abdelkrim Marchani de la Direction Territoriale Normandie de SNCF Réseau, la collaboration de ces deux modes passe par une concertation sur les indisponibilités respectives pour travaux : on sait bien que VNF doit programmer d’importants travaux de restauration du réseau et que des indisponibilités d’écluses peuvent mettre à mal la logistique fluviale par exemple sur la Seine (sans parler des basses eaux du Rhin), d’où l’idée d’améliorer la résilience de l’ensemble des deux modes massifiés et de sanctuariser les sillons pour le fret ferroviaire lorsque leur mobilisation est nécessaire pour la résilience d’ensemble des deux modes massifiés.
Stéphanie Plancq (VNF) a mis en avant l’objectif pour la voie d’eau de passer de 2,9% de part de marché à 4 % d’ici 2030, ce qui représente une forte ambition et rappelé les deux outils qu’utilise VNF :
- Le PAMI, plan d’aide à la modernisation et à l’innovation, centré sur le verdissement de la flotte fluviale
- Le PARM, plan d’aide au report modal
Un plan d’action spécifique sur l’axe Rhône Saône qui a beaucoup perdu de trafic en 2020/2019 a été proposé par Cécile Avezard, Directrice Territoriale Rhône-Saône de VNF, qui préside Medlinkports avec une série d’actions négociées avec les Collectivités territoriales dont celle de la péréquation modale des THC sur cet axe.
Véronique Hauchecorne (Haropa) a cité l’ambition de passer de 15% à 20% de part modale des deux modes massifiés d’ici 5 ans sur l’axe Seine et a cité plusieurs initiatives d’opérateurs ferroviaires avec pour Delatarail une liaison hebdomadaire sur Châlon-sur-Saône et une autre sur Bordeaux avec Naviland cargo, tout en rappelant que l’ouverture de la liaison ferroviaire Serqueux -Gisors facilitait la desserte ferroviaire d‘Haropa.
Olivier Carmes (Port de Sète) a évoqué les ambitions de l’EPR Port Sud de France: 450 M€ de travaux et une croissance de 50% du trafic en six ans avec des objectifs forts sur le recours aux modes massifiés comme celui de mettre 50% des semi-remorques sur le train vers Calais-Bettembourg ou Noisy-le-sec, ainsi que l’opportunité de transporter du clinker par conteneur pour desservir l’usine de ciment Cem’In’Eu à Tonneins (47) et de même pour le fleuve vers Porte-lès-Valence(26).
Enfin, Dominique Mathern, représentant le port d’Anvers en France a rappelé les parts modales : 7% pour le fer et 38% pour la barge avec un objectif en 2030, respectivement de 15% et de 42% ; il a mentionné une filiale dédiée aux questions ferroviaires opérationnelles Railport et la façon pratique dont la congestion fluviale de 2018 avait été réglée : obligation d’emport minimal de 20 conteneurs par terminal et création de hubs de consolidation dans le port puis à l’extérieur en Allemagne et à Gand. Il a également insisté sur le bon équilibre des flux export/Import et sur le rôle fédérateur et facilitateur du port.
Session 2 | Innovation portuaire
Les pôles de compétitivité qui ont joué un rôle essentiel pour accompagner l’émergence des projets innovants comme l’ont rappelé successivement Philippe Deysine du pole I-Trans et aussi bien Corentin Sanguinetti pour le pôle Mer Méditerranée que Marc Le Goff pour le pôle Mer Bretagne-Atlantique. Favoriser l’émergence des consortiums, mettre en relation diverses entreprises ou organismes de recherche, faciliter le financement et labelliser les projets font partie de leur action quotidienne qui s’est avérée particulièrement fructueuse, si l’on en juge par la qualité des neuf projets dont nous avons eu les présentations successives et dont huit d’entre eux concouraient pour quatre prix distincts thématiques ou transversal.
Session 3 | Transition écologique des ports
Cette session qui portait sur l’un des trois piliers de transition de la Stratégie Nationale Portuaire a été introduite par Linos Voskarides, responsable du tourisme côtier et maritime à la direction générale de la Mer de la commission européenne. Celui-ci a mis en avant la notion de port de plaisance comme hub de l’économie bleue durable et rappelé le rôle joué par exemple par l’association pour une plaisance éco-responsable (APER) créée pour favoriser une déconstruction éco-responsable des bateaux de plaisance, ainsi que les financements accessibles du programme Blue Invest et du FEAMP.
Table ronde n° 3 : Le dialogue, clé de voute de l’économie circulaire
Jean-Michel Diaz pour PIICTO (plateforme industrielle d’innovation Caban Tonkin) créée en 2014 qui couvre les zones industrielles de Fos et de l’étang de Berre a relié dans son propos croissance démographique mondiale et croissance des besoins énergétiques et insisté sur le fait que les ENR ne suffiront pas à couvrir les besoins.
Il est donc nécessaire de recourir à de nouvelles ressources et de découpler croissance économique et consommation de ressources non renouvelables, ce que l’économie circulaire permet d’ obtenir : l’expérience de PIICTO est là pour confirmer que le climat de confiance et le partage de savoir sont des éléments clefs du succès.
Jean-Michel Diaz a cité plusieurs projets réussis sur la zone de Fos :
- Vabosco qui a permis de valoriser de la saumure pour en faire des granulats utiles à stabilisation des sols (16 000 t par an).
- ICARE qui permet d’économiser 1400 tonnes de chaux dans le processus de décarbonation,
- La bioraffinerie Total de La Mède qui permet de produire des biocarburants en récupérant des huiles usagées, avec un essai réussi d’incorporation de 16% sur un vol aérien récent depuis Roissy. La qualité du dialogue entre industriels, Etat et CT avec le public est essentielle.
Vincent Favier, président d’Ecoslops, est intervenu sur le développement de sa société autour de la distillation de slops ou de sludges que les navires ont obligation de décharger aux ports pour en faire une valorisation comme carburant, fioul ou bitume, grâce à ce qui s’apparente à une forme de seconde distillation. Fort d’un succès à Sines au Portugal où il a trouvé un milieu plus favorable à cette innovation qu’en France, il passe à la vitesse supérieure avec une unité qui a démarré à La Mède début juillet et envisage de créer une autre usine à Singapour qui est un hub portuaire majeur pour le soutage.
Alain Dréau d’Idra Environnement a rappelé que sur les 35 millions de tonnes draguées chaque année en France dont la majeure partie est clapée en mer, 10% environ devaient être mis à terre car la réglementation actuelle en fait des déchets. Une large partie peut être valorisée avec des liants adéquats, par exemple pour les limons avec l’incorporation dans les bétons, et Idra Environnement a réussi à amorcer une filière de valorisation de ces matériaux.
Enfin, Bernard Plisson pour le GPM de La Rochelle a insisté sur le rôle du dialogue, clef de voûte de l’économie circulaire : il a mis en avant la production photovoltaïque sur les toits des hangars qui, initialement, avait été contractée avec un industriel pour produire 4,5 Méga Watts en crête mais qui aujourd’hui donne lieu à une nouvelle approche se concrétisant par le lancement d’une étude relative à un potentiel de production de 10 MWe avec une consommation qui pourrait aider 6 ou 7 entreprises à décarboner leur production : par exemple des bornes de recharge mutualisées permettraient une autoconsommation électrique de 80%.
Table ronde n° 4: Carburants alternatifs – Les ports à l’heure des choix
Geoffroy Caude, Référent portuaire et fluvial au Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable a introduit la table ronde en rappelant un certain nombre de données relatives aux émissions nationales du transport maritime et des ports, en rappelant brièvement les orientations de l’Organisation Maritime Internationale et celles de l’Union Européenne dans son pacte vert, notamment avec Fit for 55, et précisé les pistes de recommandations formulées par la mission décarbonation du transport aérien et maritime à laquelle il a participé. Un des constats de la mission est qu’aucune solution de carburant ne se dessine clairement aujourd’hui.
Hervé Martel, qui dirige le GPM de Marseille, a rappelé qu’en l’absence de réglementation nationale ou internationale contraignante (par exemple la zone Ecamed n’est pas encore établie), les ports naviguent un peu à vue si bien que de nombreuses initiatives ont vu ou voient le jour, plus particulièrement sur le port de Marseille sous la pression des riverains : ainsi, les armements croisiéristes ont décidé de réduire leur vitesse aux approches portuaires puis se sont lancés avec le port dans les projets d’électrification à quai.
Les pilotes sont allés dans le même sens avec des pilotines électriques. Pour le GNL, Marseille est devenue l’une des trois grandes places mondiales pour le soutage GNL comme celle de Rotterdam ou de Singapour et promeut le bio-GNL. Il a cité entre autres de nombreuses réalisations comme VASCO, Jupiter 1000 et le hub hydrogène, etc…
Emmanuel-Marie Peton, du CMF, a évoqué la coalition T2EM (Coalition pour la Transition Eco-Energétique du Maritime) créée en 2019 avec l’Ademe, qui associe aujourd’hui un grand nombre de membres du Cluster et offrira sur son site internet peu avant la COP 26 des outils d’aide à la décision pour opérer les choix de décarbonation.
La coalition Getting to Zero a produit diverses études et réflexions, notamment pour souligner que la décarbonation du transport maritime nécessitera un investissement global de l’ordre de 1500 à 1900 milliards de dollars.
Claude Dumais de la compagnie Degagné et Jean-François Belzile du port de Montréal ont présenté leur démarche d'introduction du GNL dans leur flotte de navires. Sur 19 navires de l’armement Degagné, cinq ont été commandés pour une propulsion au GNL avec un premier navire en 2017 et quarte autres par la suite, le surcoût par rapport à une solution MFO étant de 15% environ : ils pensent que la mise en place de la Zone SECA en Amérique du Nord a favorisé cette évolution, car le GNL permet de réduire les SOx et les particules fines et notamment la suie ( black carbon) interdite par l’OMI en zone Arctique. L’utilisation du bio-méthane serait l’étape suivante pour aller vers des propulsions neutres en carbone.
Banque Mondiale : Deux représentants de la Banque Mondiale, Andrew Losos et Dominique Englert sont intervenus au sujet de nouveaux carburants. Se basant sur des travaux récents, la Banque Mondiale est convaincue que l’ammoniac et l’hydrogène représentaient les carburants les plus prometteurs à moyen et à long termes et que selon eux l’usage du GNL ne pouvait rester que très limité en raison des fuites de méthane dans le processus de production du puits au moteur ce que le sixième rapport du GIEC avait souligné en attribuant au méthane une contribution de 0,5°C contre 1,1°C au CO2 et semblaient réservés sur la disponibilité du bio-gaz.
Leur étude a donné lieu à de fortes controverses internationales et l’une des questions sous-jacentes est sans doute de savoir si la récupération de CO2 à bord des navires qui n’a pas, semble-t-il, été encore étudiée en vue d’une expérimentation a ou non des chances de se concrétiser. La libération des sources de biocarburants des véhicules routiers au fur et à mesure de leur électrification dégagera des biocarburants qu’il faut mobiliser en priorité pour l’aérien, si bien que la question n’est pas encore vraiment tranchée à ce jour.
A l’issue de la table ronde, Frédéric Moncany de Saint Aignan, président du CMF, ne partage pas l’avis de la Banque Mondiale sur le GNL et appelle à la vigilance sur les textes européens découlant de Fit for 55 notamment sur la taxonomie des carburants verts. Il rappelle à la fois la SNP, la charte portuaire et le rôle de France Maritime comme l’importance de la cybersécurité : l’attaque privilégiée par les hackers est celle du maillon le plus faible d’où la mise en place de la Maritime Security Emergency Research Team (MSERT) pour aider les entreprises à faire face à ces cyberattaques.
Session 4 | transition numérique des ports
Table ronde n° 5 : Vers une nouvelle offre de services numériques
Cette table ronde a été ouverte par André Simha, Directeur des services informatiques de MSC, qui préside aussi la Digital Container Shipping Association et a mis en avant le connaissement électronique dont les données peuvent ensuite être transférées par exemple via le logiciel Waze largement utilisé dans le monde du shipping. Il mentionne le faible degré de communication entre applications et l’intérêt de la blockchain pour sécuriser la transmission.
Les API font aujourd’hui l’essentiel du travail d’interfaçage des systèmes d’information. Il a aussi présenté la Digital Container Shipping Association, créée par les armateurs à conteneurs pour déployer le connaissement électronique depuis que les armateurs ont quitté la société INTRAA qui gérait leurs échanges d’informations avec les transitaires. L’objectif est de le déployer à 20/30% dans une première étape.
Rémi Julien de Mgi administrateur de France PCS rappelle la création récente de ce GIE entre Soget et Mgi qui couvre 21 communautés portuaires en France. La technologie évolue et les API remplacent en effet peu à peu les EDI. L’un des sujets est celui de la mise en œuvre en France du guichet unique maritime et portuaire prévu par le règlement européen 2019/1239- La prospective amène à s’interroger sur les initiatives numériques de portée mondiale d’Amazon, de Maersk avec Tradelens, de Cosco, etc…
Stéphane Arnaud de la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) travaille sur le projet France Sésame pour parvenir à la réalisation d’un point de contact unique numérique dans chaque port et mettre en œuvre ainsi une des recommandations du rapport Daher-Hémar. Cette plateforme offrira la possibilité de prendre des rendez-vous en ligne (par exemple avec le SIVEP), une bibliothèque numérisée : sa mise en œuvre opérationnelle sur les trois grandes portes d’accès portuaires françaises que sont Le Havre, Marseille et Dunkerque est prévue pour la fin de cette année et pour les autres ports en 2022. La plateforme est collaborative par essence et associant un panel d’opérateurs privés.
Frédéric Obala de Ceva Logistics (filiale de CMA-CGM) passe en revue les évolutions du numérique dans les chaines logistiques : les process sont en cours d’automatisation par exemple dans les entrepôts. Il insiste sur l’utilité pour les entreprises de laisser la culture de l’innovation se répandre dans l’entreprise en sachant recourir à des start up ou en contribuant à celles-ci grâce à des incubateurs (cf. Zebox et Traxens). Searoutes donne l’empreinte carbone des différentes logistiques. Il indique que l’empreinte carbone des acteurs de chaque port est encore peu connue. Aller vers le PaaS Port as a Service est une de pistes d’avenir (myCeva logistics Platform as a service en est un exemple déjà opérationnel chez ce logisticien).
Frédéric Giletta d’Haropa Port passe en revue différentes initiatives comme Mobismart port, projet de fluidification des accès ; Le Havre Smart port city avec les exemples de FraFIS lab et de 5G Lab-La 5G déployée avec Orange sur le port du Havre devrait permettre d’utiliser un POC pour bénéficier en temps réel des données de dragages. Haropa travaille sur le jumeau numérique du territoire y compris sur la ZIP. Comme le souligne un participant, il peut aussi être utilisé pour améliorer la maintenance des infrastructures portuaires y compris dans les paries immergées grâce au recours à des ROV qui s’ajoutent aux drones mentionnés dans le cadre du développement de ce jumeau numérique.
Cette table ronde s’inscrit dans la lignée de la mission récente du CGE et du CGEDD sur les améliorations numériques des chaines logistiques qui a récemment remis ses conclusions : une des recommandations faites par la mission est de créer un task force public privé appelée à faire progresser le numérique dans les chaînes logistiques portuaires avec côté public la DGITM, la DGE, la DGDDI et la DINUM et côté privé des professionnels, France PCS et le GIE Vigisip.
Table ronde n° 6 : le défi de la cybersécurité
Laurent Célérier d’Orange CyberDéfense a précisé les quatre grandes évolutions impactant la cybersécurité des entreprises :
- le recours généralisé à internet ;
- le cloud est le nouveau data center, si bien que les data centers traditionnels disparaissent;
- la recrudescence des attaques sur le poste de travail ;
- l’arrivée de l’IoT et de la 5G dans le monde industriel. C’est le terrain de jeu des cyber-attaquants notamment via des ransomware.
Depuis 2021, les cyberattaques vont jusqu’à paralyser les serveurs. Aucune entreprise n’est à l’abri. L’espionnage est aussi une pratique courante. Des opérateurs d'importance vitale (OIV) peuvent être facilement attaqués et à moindre coût. Orange Cyber est passé d’une attaque traitée par mois à une par semaine : 150% de croissance pour l’activité détection en 18 mois. La gestion des vulnérabilités devient essentielle, et les produits de sécurité sont eux-mêmes vulnérables.
Gestion de crise, détection, gestion des vulnérabilités sont les trois missions d’Orange Cyberdéfense qui indique aux entreprises comment éviter de se retrouver en position de maillon faible. Le secteur maritime a compris qu’il fallait investir durablement dans ce domaine car il fait partie des secteurs vulnérables en raison de la multiplicité des accès et des interlocuteurs.
Xavier Rebour, préside l’association France Cyber Maritime créée à la suite d’un CImer en 2018 à Brest, qui compte 41 adhérents et qui bénéficie d’un financement de démarrage de 1 M€ de la part de l’ANSSI via France Relance; 30 bulletins d’alerte et d’information ont été diffusés depuis mars 2021. Les bulletins sont adaptés au niveau de connaissance. 1 To de données d’un armateur japonais sont en vente sur le dark web ; l’exfiltration des mots de passe permet l’usurpation d’identité et le phishing est fréquent. Grâce à l’association, les demandes sont fédérées et un centre dédié a été créé : le Maritime Security Emergency Research Team. Il recueille les incidents- Le centre fonctionne avec une équipe de 20 personnes dont la moitié travaille sur l’animation du réseau.
Jacques Gérault, directeur des relations publiques chez CMA-CGM préside le comité sécurité et sûreté d’Armateurs de France (trafic de drogue, contrebande, piraterie), lancé il y a deux ans. Depuis un an des attaques cyber ont été enregistrées. Les principales menaces pour les armateurs résident dans la pénétration du réseau de booking, dans celle du système GPS, ou dans la captation des données clients. La paralysie est redoutable.
La cyber-sécurité est une forme de chambre noire et il s'agit d'un sujet très technique. Les vulnérabilités sont très différentes d’un armateur à l’autre. La cyber sécurité touche toute la chaîne logistique et 80% des incidents ont pour origine des fautes individuelles : le patron de l’entreprise doit montrer l’exemple : en monétisant le sujet, la sensibilisation peut se mettre en place. Ce sujet doit figurer dans les formations. Les grands armateurs ont créé un service ad hoc ; pour les plus petits d’entre eux la sensibilisation reste encore à opérer. La France se structure comme l’a bien montré Xavier Rebour.
Didier Daoulas, dirige le C2M2 rattaché au Secrétariat général à la Mer. Il a évoqué une étude de cartographie des risques cyber-maritime menée à travers cinq ateliers : onze scénarios critiques ont été identifiés comme les systèmes OT des navires et des flottes, comme les VTS dans les ZMR, les systèmes CCS/PCS ; les servitudes générales et les infrastructures des ports.
En 2020 91 événements de cyber sécurité ont été reconnus dans le monde maritime : il s’agit souvent de défauts de segmentation et d’usage des malwares dormants. Les navires du futur intégreront leur cyber-sécurité dès la conception. La messagerie est très utilisée, ce qui est une faiblesse. Le comité prospective et régulation travaille sur le sujet qui sera soumis prochainement à la validation du SG Mer. Ceci rétroagit sur la gouvernance du sujet, sur les dispositifs de protection, la cotation des navires et des armateurs pour les assureurs, la sécurité de la supply chain , la résilience pour la gestion de crise et l’entraînement.
Fabien Perra de l’assureur Bessé travaille sur l’assurance de la cyber sécurité- En 2018, Bessé a mené des études avec PwC, qui ont montré que 70% des entreprises interrogées avaient subi une cyberattaque. Le maritime est ciblé pour la multiplicité des interactions. L’assurance couvre les risques non maîtrisés. Les compagnies d’assurance ont eu du mal à chiffrer ce risque de nature systémique. La question éthique du paiement des rançons est ouverte sur le risque cyber : Fabien Perra évoque le cas d’un des chefs somaliens qui ciblait le piratage des navires assurés dont il savait qu’ils payaient la rançon…
Philippe Deysine interroge le retour d’expérience du secteur aérien : la réponse de Laurent Célérier est que le système bancaire consacre 10% de ses investissements d’ IT à la cyber-sécurité ; à l’inverse le niveau d’investissements des secteurs moins matures est de l’ordre de 2%; l’aérien et les aéroports sont en pointe ; Schipol a travaillé sur le sujet pendant la pandémie en investissant fortement sur les systèmes de détection de la menace ; le MSERT sera interconnecté avec celui de l’ANSSI(OIV).
Sébastien Dupray évoque la question du cloud de confiance : en France ces opérateurs ont 75% du marché. Des systèmes de chiffrement peuvent compléter ces clouds de confiance pour en améliorer la sûreté. Cap Gemini et Orange vont mettre en place un cloud de confiance qui sera labellisé au même titre qu’aujourd’hui OVH et une filiale de Dassault.
Session 5 | R&D portuaire : état d’avancement de la structuration de la recherche
Structuration de la recherche portuaire
Antoine Frémont de l’Université Gustave Eiffel et Eric Foulquier du CNRS ont évoqué un travail de recensement des travaux de recherche utiles au secteur portuaire : dans une douzaine de secteurs d’activité, une soixantaine de thèses ont été recensées sur les quinze dernières années et ce nombre va croissant. Un livre blanc sur la recherche portuaire devrait être publié d’ici deux à trois mois.
Le rôle des ports dans l’optimisation de la chaîne logistique
Yann Bouchery, professeur à Kedge Business School, a donné quelques exemples de recherche appliquée en matière d’optimisation: le platooning (groupement de véhicule en peloton) de poids lourds pour optimiser leur circulation en zone portuaire; l’utilisation de modèle de pricing dynamiques pour la fixation de prix spots par CMA-CGM ; la mise au point d’un calculateur multimodal utilisé par Bolloré Transport et Logistique pour évaluer les frais de transport directs et indirects comme les frais de stationnement et les surestaries.
Eric Sanlaville, de l’université Le Havre-Normandie mentionne pour sa part les trois exemples suivants :
- L’analyse de la gouvernance portuaire avec comparaison pour des ports européens de taille moyenne grâce à l’analyse des réseaux d’interaction d’acteurs par des graphes sémantiques
- La réalisation par un stagiaire d’un Master de Mathématiques appliquées pour l’ordonnancement les navires, capable d’actualisations rapides pour répondre aux besoins de la capitainerie du GPMR
- Sur la vallée de Seine, la mise en place d’une sorte de tour de contrôle de régulation des flux, dotée d’un simulateur capable par exemple d’intégrer de nouvelles infrastructures lourdes comme le canal Seine-Nord-Europe.
Port du futur : quand la compréhension du passé éclaire l’avenir
Thierry Sauzeau de l’université de Poitiers préside le GIS créé en 2005 et intitulé GIS Histoire et sciences de la mer qui regroupe 450 chercheurs et doctorants et répond à des appels d’offre nationaux ou régionaux. Les prochains rendez-vous auront lieu fin 2021 à Lorient (cultures halieutiques et conchylicoles) puis à Nice en 2022 ( site contact@histoire-sciences-mer.org).
Mathias Tranchant, de l’Université de Bretagne occidentale dans une présentation sur les ports marqueurs des rapports de l’homme à la mer au Moyen-âge, a expliqué comment le port englobait les communautés marchandes et couvrait une très grande variété d’espaces portuaires : on dénombrait 620 ports au XVème en France avec une mobilisation complète des espaces littoraux utilisables (partout où la perméabilité littorale est forte). Le port apparaît alors comme le produit de la maritimisation de la France médiévale.
Les dynamiques navales ont accompagné ces évolutions. Les ports sont des territoires en danger (ensablement, variations séculaire des niveaux marins, etc…). Les ports sont aussi des territoires d’innovation. Le passé éclaire les risques portuaires et cette analyse rétrospective illustre bien la trajectoire des territoires.
Thierry Sauzeau a est revenu sur l’agilité des petits ports français face aux évolutions du littoral Atlantique depuis le XVIème. Louis XIV et le colbertisme ont concentré les moyens fiscaux et financiers sur la puissance navale et ont peu à peu lâché du lest sur les grands ports qui ont continué à se développer jusqu’au XVIIIème. Les petits ports ont été pris en étau par le colbertisme, mais ont su rebondir sur la pêche, sur le cabotage et pris les risques de la course. Une embellie portuaire intervient aussi au milieu du XIXème siècle (cf. carte de l’ingénieur Minard de 1857).
Le chemin de fer arrive d’abord dans les grands ports, puis l’ouverture se fait vers le yachting et la plaisance à partir des années 1960.
Eric Foulquier dans la dernière présentation a mentionné les travaux récents d’Emeric Lendjel qui a analysé les boutres de Djibouti. Les Dhows ont su donner une forme d’accès démocratisé au transport international- Il mentionne aussi des initiatives de voiliers cargos comme celles de TOWT/Grain de Sail/ Timbercoast avec un label, ainsi que les voiliers croisiéristes de luxe.
Eoseas/TOWT/ Zephir et Birée/Prao Cargo/ Neoline/ Sail Cargo Inc.etc…représentent aujourd’hui les initiatives les plus marquantes. Isabelle Rojon a fait le point sur l’avant 2014 du vélique. Et, deux associations mondiale Windship International Association et Windship au niveau français regroupent les industriels, les chantiers et les instituts techniques qui oeuvrent au renouveau de la voile marchande. Ainsi se sont tenues à Saint-Nazaire le 21septembre les journées Wind for Goods.
Il a insisté sur le fait que les infrastructures portuaires seraient un "impensé" portuaire et évoqué la question de la démassification dans les petits ports car les postes d’inspection frontaliers des produits biologiques importés dans l’UE n’existent que dans un nombre très restreint de grands ports, ce qui pénalise le développement de ces activités. Il mentionne enfin le rôle de l’ANEM association nantaise d’écoconception maritime. Alex Lavergne du port de Sète a indiqué que son port serait candidat à accueillir de tels voiliers cargos.