Le Cerema s’est associé au GRALE (Groupe de Recherche sur l’Administration Locale en Europe) pour proposer un état des lieux de l’organisation et de la gouvernance des mobilités 4 ans après la Loi votée en 2019. Il en résulte un ouvrage publié aux Presses Universitaires de Grenoble, codirigé par Alexandre Fabry (Cerema Territoires et Villes), Isabelle Muller-Quoy (Université Picardie-Jules-Verne), Gérald Orange (Université Rouen-Normandie) et Cyprien Richer (Cerema/CY Cergy Paris Université-MATRiS) et réunissant 27 auteurs issus d’horizons différents : chercheurs et universitaires, experts du Cerema, consultants ou élus. Il apporte ainsi un complément plus analytique et scientifique au panorama offert par l’Observatoire national des Politiques locales de Mobilités.
Issue d’une période de concertation marquée par les assises de la mobilité, la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019 a pour objectif de transformer le paysage des mobilités en termes de gouvernance et d’organisation. Elle vise ainsi à parvenir à une couverture de l’ensemble du territoire national par des Autorités Organisatrices de la Mobilité locale, renforce le couple intercommunalités / Régions dans ce domaine et propose de nouveaux outils d’organisation comme les bassins de mobilités, les Contrats Opérationnels de Mobilités, les Plans d’Action en commun pour la Mobilité Solidaire ou les comités des partenaires. Quatre ans après le vote de la loi, le paysage des mobilités locales semble encore en transition.
Mise en œuvre de la LOM : quelles modalités ? Quels effets ?
La LOM a mis avant la responsabilité du couple Région/EPCI dans l’organisation des mobilités locales. Ainsi, voyant leur rôle renforcé par la loi, les Régions se sont emparées de manière différentielle des possibilités offertes par celles-ci. E. Leguay (copilote du groupe de travail technique « Politique de mobilité, gouvernance, concertation » au sein de l’association Régions de France) montre ainsi que des stratégies différentes ont été mises en place selon les Régions, générant des politiques hétérogènes pour élaborer les bassins de mobilités ayant des dimensions différentes selon les régions ou induisant contenus divers au sein des contrats opérationnels de mobilités, par exemple.
Les Communautés de communes qui ne disposaient pas encore de la compétence mobilité étaient également au cœur des objectifs de la LOM, avec l’obligation de se positionner pour prendre cette compétence, ou la laisser à la Région. En analysant cette séquence de mise en œuvre de la loi et en s’appuyant sur la carte des prises de compétences, E. Pasco-Viel montre que le processus de décision au sein des communautés de communes a été marqué par les orientations des exécutifs régionaux, amenant à des situations contrastées selon les territoires. En détaillant l’exemple des Pays de la Loire, E. Leguay explique en parallèle comment la région a incité les communautés de communes à se saisir de la compétence mobilité. Tant au niveau régional qu’intercommunal, une même loi a donc donné lieu à des orientations multiples.
Toutefois, pour A. Daniel, N. Pitaval et A. Fabry, il ne faut pas s’en tenir à la seule « prise de compétence » pour déterminer la volonté et la faculté d’agir dans le domaine des mobilités. Ainsi, des communautés de communes ayant laissé la compétence mobilité à la région peuvent mettre en place des services de mobilité grâce au mécanisme de délégation de compétence, assez développé dans certains territoires. A l’inverse, des communautés de communes s’étant vu transféré la compétence n’ont pas (encore) mis en place d’actions ou de services. On assiste ainsi sur les territoires à une forme de dissociation entre détention de la compétence mobilité et mise en place d’actions relatives à cette compétence.
A la recherche de la bonne échelle d’action et de gouvernance
La nouvelle géographie issue de la loi ne règle toutefois pas une fois pour toutes la question de la bonne échelle d’organisation et de gouvernance. Ainsi, d’autres acteurs et d’autres outils sont mobilisés pour répondre à la question de la coopération locale ou régionale. C’est notamment le cas des Syndicats Mixtes-SRU, analysés par Vincent Cuffini-Valero. Cet outil créé par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), permet la coordination de services entre les AOM d’un territoire donné, la mise en place de système d’information voyageur, de tarification et billettique intégrée, voire, à titre optionnel, d’organiser des services de mobilité. Questionnés lors de l’élaboration de la LOM qui créait, avec les bassins de mobilité et les contrats afférents, de nouveaux outils de coordination, les SM-SRU semblent retrouver un nouveau souffle grâce à leur caractère souple et adaptable permettant de faire de la coordination horizontale et de mobiliser des ressources financières à travers le Versement Mobilité Additionnel. Toutefois, à travers l’exemple des Hauts-de-France, C. Richer et P-A Horth montre que cette dimension interterritoriale n’est pas simple et que peuvent encore coexister dans une même région deux SM-SRU et dix bassins de mobilités, avec un même objectif de coordination.
Cette question de la coopération interterritoriale en matière de mobilité se retrouve également dans les pôles métropolitains et les Pôles d’Equilibre Territoriaux et Ruraux (PETR).
- Ainsi, les 25 pôles métropolitains de France affichent quasiment tous la mobilité parmi leur compétence d’action. Bien que n’ayant la possibilité de devenir AOM que depuis la loi « 3DS » de 2022 , les pôles s’investissent régulièrement dans les politiques de mobilités, au titre de l’action économique, par exemple. Selon N. Deveze et F. Rangeon, ils jouent un rôle subsidiaire de prospective et constituent un espace d’échange entre les EPCI.
- Dans les PETR, même s’il peuvent être Autorités Organisatrice de la Mobilité sous certaines conditions. , certains se sentent exclus du dispositif de coordination mis en place par le LOM et encadré par les régions. Néanmoins, les PETR produisent des outils pour leurs EPCI (ex. Diagnostic mobilité au sein du projet de territoire) ou se voient confier des missions de coordination ou d’appui en termes d’ingénierie.
Toutes ces institutions et tous ces outils montrent que la bonne échelle et les modalités d’organisation des mobilités diffèrent selon les territoires et les situations, et que si la LOM a opéré des clarifications, l’enjeu de la coopération entre les différents acteurs reste cruciale.
Changer les comportements et les pratiques
L’ensemble de cette réorganisation locale et sa complexité ne doit cependant pas faire perdre de vue l’objectif premier de la loi : permettre que se mette en place, sur l’ensemble du territoire, une mobilité plus durable et accessible à tous. Pour se faire, outre la répartition des compétences et des responsabilités, plusieurs outils sont mis en avant dans cet ouvrage.
La mobilisation des habitants dans une dynamique de coconstruction des mobilités alternatives à la voiture individuelle à Loos-en-Gohelle est ainsi pensée comme un outil pour trouver les meilleures solutions et faciliter leur appropriation par les habitants. Selon Marielle Cuvelier, Catherine Gabaude et Geoffrey Mathon, elle semble d’ailleurs plus impactante sur les changements de comportement dans ce territoire que le développement d’outils numériques dédiés aux déplacements.
La tarification peut également être vue comme un outil de changement de comportement, pour inciter à l’utilisation des transports en commun. A travers une étude sur des territoires pratiquant la gratuité sur le réseau de transport en commun ou ayant mis en place des tarifications solidaires, N. Pitout montre que l’utilisation des transports en commun a augmenté après la mise en place de l’une ou l’autre de ces solutions. Cependant, ces évolutions ne sont pas uniformes et vont impacter différemment les catégories de population. Ainsi, pour les tarifications sociales, l’effet semble important sur les actifs et les étudiants, mais non avéré pour les personnes âgées.
Au-delà des politiques de tarification, l’accès du plus grand nombre à la mobilité est également un enjeu très contemporain, et la LOM a d’ailleurs contribué à mettre en avant la mobilité solidaire. N. Pitaval propose ainsi de clarifier cette notion, en s’appuyant sur la loi mais également sur une pratique du terrain pour esquisser les 7 familles de la mobilité solidaire et s’interroger sur les moyens de parvenir à une mobilité pour tous.
On le constate à travers ce panorama, le paysage des mobilités locales est encore en mutation, de nombreux outils restant encore à mettre en place : Contrats Opérationnels de Mobilités et PAMS dans tous les bassins de mobilité, articulation des différents services et des différentes échelles d’actions, sans compter la mise en place des SERM qui vont retravailler cette question du lien entre centre et périphérie. Pour reprendre les mots des auteurs de cet ouvrage : « Quatre ans après le vote de la LOM, le paysage institutionnel local est loin d’être stabilisé. Tout comme devrait l’être l’ensemble de notre société, il est en transition. Transition dans les pratiques et les services de mobilité, mais aussi transition chez les acteurs locaux »
Pour approfondir le sujet
En complément à cet ouvrage, un rdv mobilités est consacré à la gouvernance et l’organisation de la mobilité le 18 janvier 2024.