Guillaume Triollier de l’epures, agence d’urbanisme de la région stéphanoise, qui accompagne le partenariat aux côtés du Cerema, répond à nos questions, au côté de Barbara Christian, référente EMC² pour le Cerema.
Revenons d’abord sur les enquêtes précédentes, dont celle de 2009-2010. Pouvez-vous nous citer quelques analyses marquantes de l’enquête précédente ?
Guillaume Triollier : Il y en a tellement ! Alors bien sûr on pense tout de suite à ce que certains appellent la donnée « reine » des EMD : les parts modales… Les partenaires attendent souvent ces résultats avec impatience, certains avec une certaine appréhension. Se positionner par rapport aux autres agglomérations ou connaitre les évolutions depuis la précédente enquête est toujours très attendu, mais la dernière enquête sur le bassin de vie stéphanois a produit des résultats en décalage avec ceux observés dans d’autres grande villes françaises : augmentation de 4 points de la part modale de la voiture ; baisse de Presque 1 point de celle des transports en commun. Ces chiffres sont donc compliqués à expliquer dans une ville qui venait pourtant de réaliser quelques années plus tôt une extension de son réseau de tramway vers la gare centrale. Heureusement, la richesse des EMD et le grand niveau de détail des analyses qui peuvent être menées grâce à elles, nous ont permis d’expliquer et de relativiser rapidement ces résultats : l’augmentation de quatre points de la part modale de la voiture était due pour plus de la moitié à une augmentation du nombre de passagers de véhicule (et donc que partiellement à des voitures supplémentaires en circulation) surtout dans certains secteurs, en particulier périurbains.
Quant aux transports collectifs, le tramway, sur lequel avait été fait la majorité des investissements, se portait plutôt bien : le nombre de déplacements était stable depuis 2001 (chose très positive dans une ville qui avait perdu 10% de ses habitants sur la même période, une partie de ses emplois et où la mobilité par personne avait nettement baissé). Sur la ville centre, la part modale du tramway était en augmentation de presque 2 points et encore plus dans les secteurs directement desservis. Bref l’EMD ne nous a pas juste permis de « donner un chiffre », elle nous a permis de le relativiser et surtout de l’expliquer au regard des politiques publiques et des dynamiques à l’œuvre sur le territoire.
En terme d’exploitation toujours, je pense aussi aux analyses sur les relations avec la Métropole voisine de Lyon. Les stéphanois – et les lyonnais ! – ont trop souvent l’impression d’une relation majoritairement orientée sur la Métropole voisine. Pourtant en 2010, les chiffres étaient là pour nuancer cette « image d’Epinal » : sur les plus de 2 060 000 de déplacements quotidiens réalisés par les habitants du bassin de vie stéphanois, seuls 36 000 étaient des échanges avec le Rhône (dont le Grand Lyon). S’ils ont une importance économique certaine, et des impacts sur le fonctionnement des réseaux en heures de pointe, ces échanges sont donc loin d’être le quotidien de tous les habitants et ils doivent être relativisés… par exemple en regard des 550 000 déplacements réalisés intégralement à pied chaque jour en région stéphanoise.
Dans un autre registre, je pense aussi aux exploitations sur les « pulsations urbaines », réalisées conjointement avec le Cerema. Cette représentation, non plus de la population résidente d’un territoire, mais de la population présente, quart d’heure par quart d’heure tout au long de la journée, est très intéressante. On apprend ainsi que le nombre de personnes présentes dans la ville de Saint-Étienne est en augmentation d’environ 20% à 10h30 du matin par rapport à la population résidente « la nuit ». Ce type d’exploitation avait aussi été poussé sur le secteur hyper- central de la Ville, pour estimer le nombre de voitures stationnées et détecter les heures de conflits d’usage entres résidents, actifs et visiteurs des commerces…
Et pour finir, il n’y a bien sûr pas eu un Scot, un PLU ou PLUi dans lequel l’EMD n’ait été utilisée. De même, l’outil de modélisation multimodale des déplacements du Sud Loire ne serait pas aussi performant sans l’EMD.
Dix ans après, qu’est-ce qui selon vous a changé sur le territoire qui nécessite d’actualiser les chiffres ?
Guillaume Triollier : Avant tout, les périmètres institutionnels des partenaires historiques : la Métropole de Saint-Étienne a étendu 2 fois son territoire depuis 2010, d’abord sur des territoires couverts par la précédente enquête, puis sur des territoire plus ruraux, vierges de toute enquête. Les autres partenaires ont aussi beaucoup « grossi » sur des territoires « sans données », comme l’Agglomération de Loire-Forez, passée de 45 à 87 communes, ou la nouvelle collectivité de Forez Est. A l’heure de la révision du Scot Sud-Loire et de la mise en œuvre des PLUi, il devenait donc compliqué de travailler avec des données ne couvrant que partiellement les territoires. D’autres territoires, au centre du Département, souffraient aussi de ce manque de données et ont souhaité rejoindre le partenariat.
Et puis, depuis presque 10 ans, les dynamiques de répartition des populations ont continué, les modes de vie ont changé (tout le monde se demande aujourd’hui quel sont les impacts locaux de l’explosion du e-commerce sur les mobilités par exemple) et les questions de droit à la mobilité, de dépendance à la voiture ou de précarité énergétique deviennent de plus en plus prégnantes.
Il devenait donc de plus en plus nécessaire de réactualiser et d’étendre à ce nouveau territoire notre socle de connaissance fine des mobilités avec l’accompagnement du Cerema.
Entre temps le Cerema a lancé un chantier de refonte méthodologie qui a transformé les EMD en EMC² : quelles sont selon vous les différences fondamentales pour les territoires ?
Barbara Christian : Le chantier a débuté en 2016 par une écoute des besoins des territoires, qu’ils soient ou non des habitués de nos méthodes. Ce dialogue avec nos partenaires a montré que les enquêtes ménages- déplacements ont encore toute leur place le système d’observation de la mobilité des collectivités, mais que les besoins de connaissance avaient tendance à s’accroître dans un contexte finance de plus en plus contraint.
Le dispositif proposé est donc modulable, pour s’adapter au plus près des besoins des collectivités :
- un cœur d’enquête rénové, qui continue de fournir l’indicateur-phare des EMD, les fameuses parts modales qu’évoque G. Triollier : pour diminuer son coût, le questionnaire a été réduit à l’essentiel, en supprimant notamment la fiche Opinion, et il est désormais possible de recourir à des enquêtes téléphoniques dans les zones les plus denses* (sans dépasser le seuil de 50% pour bien représenter la diversité de la population, plus facile à toucher en face-à-face) ;
- des options sur-mesure, qui permettront aux collectivités de continuer à se comparer entre elles sur chaque volet :
- week-end, pour recenser les déplacements de fin de semaine, souvent méconnus malgré les enjeux qu’ils peuvent représenter aux abords des grandes zones commerciales,
- population et thématiques spécifiques, pour approfondir les questionnements locaux auprès de ménages volontaires,
- fréquence +, pour actualiser les indicateurs-clefs entre deux enquêtes.
Une vidéo en ligne détaille notre approche et un guide Cerema paraîtra prochainement pour aider les territoires à s’approprier le dispositif et à le décliner localement.
De votre coté, quelles sont les options du dispositif EMC² qui vous ont intéressé ? Quelles sont celles qui seront mises en œuvre in fine ?
Guillaume Triollier : En plus du mixage entre enquêtes en face à face et en téléphonique dans le même secteur de tirage, les partenaires ont été intéressés principalement par les « questionnaires web » et les enquêtes de mobilité du weekend. D’autres options comme les enquêtes « fréquences + » ou les suivis GPS auraient aussi pu être intéressantes, mais il fallait être raisonnable sur les capacités financières.
Au final, seule l’enquête weekend a été retenue, mais grâce à la nouvelle méthodologie des EMC² et en incluant cette option, l’enquête ne coûtera au final pas plus chère que l’enquête de 2010 alors qu’elle couvre 152 communes supplémentaires. Sans cela, le financement de la réactualisation de l’enquête aurait sans doute été très compliqué, voire infaisable.
Quels sont les analyses de vous prévoyez de faire prioritairement après l’enquête ?
Guillaume Triollier : Au vu des précédents résultats, des analyses fines des parts modales feront bien sûr partie des premiers travaux.
Il faudra aussi surement réactualiser les questions des relations avec le Rhône et la Métropole de Lyon, car elles demeurent prégnantes dans l’analyse du fonctionnement des bassins de vie, au sein de l’aire métropolitaine Lyon – Saint-Étienne (AMELYSE), cadre de coopération interinstitutionnelle original structuré autour de l’Inter-Scot, du Pôle métropolitain et du Syndicat mixte SMT-AML.
Et puis les questions d’actualité comme le covoiturage, que cette nouvelle enquête aussi devrait nous permettre de mieux appréhender, de mobilité dans les zones rurales et de précarité énergétique, tout cela fera aussi partie des analyses à mener rapidement car on sent une certaine attente sur ces sujets.
Enfin, les analyses de la mobilité des weekends seront aussi très attendues, notamment en lien probablement avec les enjeux d’offre commerciale et de loisir. De toute façon, comme on a l’habitude de le dire, une EMD et maintenant une EMC², c’est 2 ans de préparation, 5 mois d’enquêtes et 10 ans d’études alimentées grâce à ces données. Il y a donc de nombreuses analyses à faire, refaire… ou inventer !
Comment le Cerema accompagne-t-il les territoires ?
Le Cerema est présent sur tous les territoires quelles que soient leurs tailles. Il est à leur écoute pour les orienter selon les problématiques de mobilités exprimées.
Il contribue à affiner le projet d’enquêtes – et donc au choix des options, à définir le périmètre d’enquête, dimensionner son coût, suggérer des partenaires potentiels.
Dans le cadre d’une coopération «public-public », une fois le projet défini, il accompagne les collectivités dans la rédaction du cahier des charges de la collecte, de son suivi et de son contrôle, et la préparation de son exploitation.
Pour alimenter la base nationale des enquêtes mobilité, et garantir la comparaison des résultats dans le temps et dans l’espace, il centralise notamment après la collecte les tâches suivantes : contrôle de cohérence des données, redressement, enrichissement des fichiers (dont diagnostic énergie émissions des mobilités - DEEM), premières exploitations. Par ailleurs, le Cerema peut proposer aux collectivités un ensemble d’analyses complémentaires et sur mesure.
● Contact Cerema : Barbara Christian
* Unité urbaine (au sens de l’Insee) de plus de 100 000 habitants.