Cet article fait partie du dossier : Action Cœur de Ville : l'implication du Cerema
Voir les 19 actualités liées à ce dossierCette table ronde d'ouverture des premiers Ateliers Villes et territoires intelligents portait sur les outils disponibles pour les collectivités, afin d'accélérer l'émergence des villes et des territoires intelligents. Elle a réuni Marie Aboulker, Chargée de mission à la Banque des Territoires, Marc Laget, Responsable Aménagement numérique des territoires au Commissariat Général à l'Egalité des Territoires (CGET), Nicolas Schockaert, DSIT de la Communauté d'agglomération du Beauvaisis et représentant de l'association Villes de France, et Jacyntha Serre, Chargée des Relations Internationales à l'association Villes Internet. Elle était animée par Christian Curé, Directeur du Cerema Territoires et villes.
La ville intelligente selon Villes de France
Nicolas Schockaert a exposé ce qu'est une ville intelligente pour l'association Villes de France, qui regroupe des villes de taille intermédiaire : "Pour nous la ville intelligente est d’abord une ville qui sait se réinventer, qui se projette, qui sait s’adapter aux besoins de la population, qui cherche à améliorer la qualité de vie, et aussi qui sait conforter son développement économique", a-t-il expliqué.
Pour cela, la ville intelligente doit s’appuyer principalement sur les données, et elle doit s’appuyer sur ses habitants. Le numérique est perçu comme un outil, qui permet de générer des économies et d’améliorer le service public. Mais il ne faut pas négliger la durabilité de cette ville intelligente, ainsi que les enjeux économiques et sociaux. Pour Villes de France, tous les acteurs, publics et privés, qui interviennent sur ces questions doivent être impliqués.
Le constat est qu'il n'existe pas de modèle de ville intelligente, mais dans chaque démarche il faut tenir compte du diagnostic du territoire, de ses atouts, de ses besoins et spécificités, ainsi que des envies de faire. "Une vision partagée entre l’ensemble des acteurs est essentielle, avec une gouvernance forte et un portage politique", a rappelé Nicolas Schockaert.
Ville de France est très investie sur le sujet des villes Intelligente, et a par exemple publié la brochure "En route vers des villes plus intelligentes : comment penser et construire la smart city en Villes de France ?". Villes de France a également réuni en mai 2018 un groupe de travail sur les cœurs de ville intelligents où le Cerema était présent, et a été partenaire à Nevers du Sommet International de l’Innovation dans les villes médianes (SIIViM) où le Cerema est intervenu. Enfin, le 12 décembre à Paris, l'association organise les Rendez-Vous de l’Intelligence locale sur le thème de la ville du futur.
Le concept de Smart Solutions
Marie Aboulker, chargée de mission à la Banque des Territoires, a exposé le concept de smart solutions, développé par la Banque des Territoires. Elle a d'abord rappelé que l'objectif de la Banque vis-à-vis des collectivités est de favoriser les smart solutions en faveur du projet de revitalisation des centres-villes. L’idée est d’inciter les villes à s’inscrire dans une démarche d’innovation territoriale.
Les smart solutions supposent la mobilisation d’agents de la collectivité pour maîtriser l’utilisation de ces outils, les gérer et les faire vivre. Mais, il est important que ces solutions s’inscrivent dans un projet global de territoire.
Une analyse des conventions passées dans le cadre du programme Action Coeur de Ville a montré que 75% des 222 conventions mentionnent au moins un projet innovant ou Smart City (450 projets au total). Le commerce, et le numérique au service du commerce, est un sujet récurrent dans ces conventions (20% des conventions). Les questions de services de mobilité viennent ensuite, pour développer une approche intermodale, une mobilité douce… Il y a aussi beaucoup de projets de tiers-lieux, ou autour des espaces publics avec le développement du wifi public.
On constate cependant qu’il y a peu de projets autour de l’habitat et du bâtiment alors que de nombreuses solutions numériques existent dans ce domaine. Les initiatives autour du bâtiment intelligent sont d’abord l’initiative de promoteurs immobiliers dans la construction neuve, et ensuite de bailleurs sociaux, qui travaillent sur la domotique, la gestion de l’énergie, de l’eau... Mais ces projets concernent généralement du bâtiment neuf, et très peu dans les cœurs de villes.
Des démarches apparaissent cependant autour de la rénovation énergétique, par exemple à Cahors avec le projet Enerpat de rénovation énergétique de bâtiments. Il y a de nouvelles approches qui apparaissent, pour faire des propositions d’architecture numérique pour une plateforme de données sur la rénovation énergétique, dans le cadre d’un plan de rénovation. Cela suppose une démarche globale à l’échelle d’un immeuble.
Les collectivités restent très tournées vers les solutions existantes qui peuvent être mises en œuvre, et assez peu innovent en se centrant sur les usages et les besoins.
Il y a un fort enjeu d’accompagnement des collectivités pour construire une vision globale du territoire et de son évolution.
Quels regards sur la Smart City ?
Les participants ont partagé leurs différentes visions du concept de Smart City.
Marc Laget, responsable Aménagement numérique des territoires au CGET a expliqué l'approche du CGET : "Nous cherchons à appréhender le territoire dans son caractère multidimensionnel, en s’interrogeant sur son évolution dans le contexte de la Smart City, de la ville intelligente. Cela, tout en assurant l’égalité entre les territoires. Pour cela, il faut une approche globale du territoire".
Le CGET perçoit 3 risques liés au développement de la Smart City, qu'il faut prendre en compte dès à présent :
- Le risque que les territoires paient pour des solutions qui ont déjà été développées par les voisins ;
- Le risque lié à l’interopérabilité : il faut des solutions qui s’adaptent facilement d’un territoire à l’autre ;
- La perte de la maîtrise sur le long terme des solutions que nous avons développées, aussi bien sur les algorithmes que sur les données ou métadonnées.
Jacyntha Serre, Chargée des Relations Internationales à Villes Internet, a évoqué le rapport rendu récemment au Ministre des Affaires étrangères sur le modèle français de la ville intelligente. Le but était de s'interroger sur ce que ce modèle français pouvait apporter par rapport à d’autres modèles. Pour le réaliser, Villes Internet a rencontré de nombreux experts, et réalisé des études de cas en France et à l’étranger.
Un des constats est que l’innovation pour la Smart City se décline en 3 modèles :
- La "data city" anglo saxonne ;
- La ville contrôlée chinoise avec beaucoup d’Internet des objets (IoT) ;
- La ville privée du type "start-up" qui vient surtout d’Inde.
En France, la smart city est le fait de collectivités de différentes tailles et souvent des villes moyennes, qui ne correspondent pas à ces trois modèles, et ont une vision de l’innovation socio-centrée plutôt que techno-centrée. Elles mettent en place des outils simples, avec un budget souvent limité, pour développer des services pour les citoyens.
Ce rapport continue à vivre avec un appel à contributions : Ville Internet sollicite les experts et acteurs du territoire sur six grandes thématiques. Villes Internet a aussi formulé 20 préconisations et pistes d’action.
Retours d'expériences sur différentes plateformes orientées vers la Smart City
Jacyntha Serre, de Villes Internet, a évoqué la plateforme ATLAAS (Annuaire Territorial de Liaison des Acteurs, des Actions et des Services numériques), qui a été conçue avec le CGET pour relier les acteurs du réseau Villes Internet. Elle permet de cartographier les actions et les services numériques que les collectivités membres de Villes Internet mettent en place. C’est une forme d’observatoire national du service public numérique, qui met aussi en valeur ces actions sous l’angle du service rendu aux citoyens.
Marc Laget, du CGET, a rappelé qu'il existe de nombreuses initiatives, dont une menée par le Réseau Rural Européen sur le "smart village", avec une approche de développement territorial. On observe une offre importante de plateformes pour le sujet du développement du commerce. Il serait intéressant d’ouvrir un chantier de parangonnage, d’aider les acteurs locaux à comprendre les offres qui leur parviennent, comment les caractériser. Ce sujet est déterminant car le commerce et l’économie sont essentiels dans les territoires.
Marie Aboulker a précisé que la Banque des Territoires a observé cette offre importante, et prépare une feuille de route ou un guide pour clarifier les choses. La Banque des Territoires vient de lancer une plateforme destinée à ses différents clients (collectivités, bailleurs sociaux, professions juridiques), qui s’appelle l’ "annuaire des entreprises de la Smart City". L’idée de départ était d’aider d'une part les villes qui peuvent être désorientées devant l’ampleur des offres existantes, et d'autre part les entreprises qui proposent des offres innovantes et sont intéressées par ces marchés.
Aujourd’hui cet annuaire regroupe une centaine de solutions proposées par des entreprises, et qui sont référencées par la Banque des territoires. La plateforme propose aussi des retours d’expériences et des contacts, et elle va évoluer, avec des évaluations de solutions ainsi que des possibilités de partages d’expériences.
Le besoin d'accompagnement des villes moyennes
Pour Nicolas SCHOCKAERT, représentant de Villes de France, les villes moyennes ont du mal à s’y retrouver dans l’offre, et les dispositifs d’accompagnement sont complexes également. Il existe un Atlas auquel Villes de France contribue, et il constitue un vrai outil d’émulation entre les territoires, qui permet de voir ce que font les autres.
Il est important de travailler en combinant les différents dispositifs d’aide, le Cerema peut jouer un rôle d'accompagnement à ce niveau-là. Il faut aussi selon Nicolas Schockaert, que les collectivités échangent entre elles, et une grande attente existe par rapport à l’ANCT sur ces sujets.
Marc Laget a expliqué que les observation du CGET montrent qu'en termes de stratégie dans le cadre d'Action Coeur de Ville, un certain nombre d’élus pense financer les équipements au fil de l’eau. Il y a des outils mais ils sont nombreux, et concernent différentes échelles du territoire. Par exemple :
- SDASAP : schéma directeur d’accessibilité aux services publics, à l’échelle départementale ;
- SCORAN : stratégie de cohérence régionale de l’aménagement numérique, pour développer le territoire à l’échelon régional ;
- Stratégie de développement des usages et des services numériques au niveau départemental ;
- Tout cela peut s’intégrer dans le SRADDET, au niveau régional.
Le CGET a repéré 117 documents stratégiques différents pour l’avenir des territoires, portant sur différentes thématiques.
Le problème est donc très complexe, et le CGET a rédigé un cahier des charges qui définit une méthode de choix de l’investissement numérique public en fonction de son impact sur les territoires. La question d'origine du processus était : qu’est-ce que mon investissement numérique va produire sur mon territoire ? Cela, d’abord en termes de développement économique, puis en termes de durabilité, puis en termes de bien-être des habitants, du bien public, d’égalité et de cohésion numérique des territoires.
Le CGET propose aux territoires de mettre en œuvre cette méthode à deux échelles : à l’échelle d’un territoire seul, et aussi à l'échelle de plusieurs collectivités. Même si c’est plus long, et souvent un peu plus cher à court terme. Cet outil d’accompagnement de l’aide à la décision devrait être disponible au premier semestre 2019.
Un constat partagé par les différents intervenants est le besoin de travailler en mode projet, en regroupant différents services, différentes spécialités, autour du projet de smart territoire. Pour Marie Aboulker de la Banque des Territoires, "le déploiement de la Smart City implique un changement d’approche de la part des services. La place du citoyen évolue mais, en amont, pour que cela marche, il faut une gouvernance efficace, qu’il y ait les moyens humains derrière et un pilotage global". Les équipes des différents services doivent être sensibilisées à la question, les données doivent être partagées, et parfois il y a des réticences.
Selon Marc Laget, du CGET, "il y a une transversalité à avoir entre trois fonctionnalités différentes pour la conduite des projets : l’éclaireur qui va observer le contexte et les solutions, le décideur, et l’administrateur, qui régule et organise les choses. Ces trois fonctionnalités doivent être mieux assemblées et coordonnées".
Dans le dossier Action Cœur de Ville : l'implication du Cerema