Plus de 10 ans après la loi handicap de 2005, l’acces- sibilité totale des services de transport en France n’est pas atteinte. Malgré une loi fixant des objectifs ambitieux pour améliorer l’accès des transports aux personnes à mobilité réduite, la réalité montre qu’il reste encore du chemin à parcourir pour la réalisation des aménagements adaptés et confortables pour tous. La France a-t-elle plus de retard que ses pays voisins ? Qu’en est-il chez nos voisins belges?
Aujourd’hui, quelle est l’organisation des transports en Belgique ?
Francis Thys : La Belgique est un état fédéral composé de trois régions. L’organisation des transports publics belges est régionalisée depuis 1991 (sauf les chemins de fer). Il y a une société de transports par région :
- le réseau De Lijn dans la Région flamande ;
- la STIB (Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles) dans la Région de Bruxelles - Capitale ;
- la SRWT (Société Régionale Wallonne du Transport) dans la Région wallonne qui gère cinq sociétés d’exploitation, commercialisées sous le nom de TEC.
Votre bureau Atingo fait partie du CAWaB (collectif accessibilité Wallonie Bruxelles), comment est né ce collectif et quel est son rôle ?
Vincent Snoeck : Atingo (anciennement Gamah) est connue dans le secteur de l’accessibilité depuis les années 80. Nous faisons du conseil, de la formation et de la sensibilisation auprès des acteurs locaux dans le domaine de l’accessibilité.
En 2006, lors de la création du CAWaB qui regroupe une vingtaine d’associations intéressées par l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, nous avons fait le choix d’en devenir membre.
L’objectif du CAWaB est de fédérer les associations représentant les différents types de handicap mais aussi les bureaux d’expertise pour mener des actions militantes et de sensibilisation dans différents domaines (logement, élections, transports en commun, trains). Cela permet également d’avoir un poids plus important lors des débats, notamment avec le ministre de la mobilité de la Région Wallonne.
Pour mieux comprendre le rôle du collectif, il faut revenir sur la chronologie. Comme en France, la première loi sur l’accessibilité des personnes handicapées est introduite en 1975, et c’est en 1986 que les premières lignes de bus accessibles apparaissent à Liège. Mais entre 1986 et 2010, il y a eu une stagnation de la mise en accessibilité des transports publics. Ainsi, en 2012, cinq associations du CAWaB, accompagnées de particuliers, ont décidé de porter plainte pour discrimination contre la Société Régionale Walonne du Transport. Afin d’éviter d’aller jusqu’au jugement, un dialogue s’est instauré entre le CAWaB, la SRWT et les opérateurs de transport. Ce dialogue a abouti à la signature d’une convention entre la SRWT et le CAWaB en octobre 2013.
Quels sont les grands engagements de cette convention?
Vincent Snoeck : La construction de la convention a permis de créer une
passerelle entre deux mondes qui ne se connaissaient pas. La SRWT a pris conscience de l’importance de transporter tous les passagers, sans discrimination aucune et, de son côté, le CAWaB a pris conscience des difficultés liées à l’exploitation et cela nous a permis de faire quelques concessions. On ne peut pas tout faire d’un coup. Ce qui compte, c’est que cela progresse. Et c’est le cas grâce aux cinq grands engagements inscrits dans la convention, portée aujourd’hui par la Société Régionale Wallonne du Transport :
- article 1 : proposition au Gouvernement wallon d’un programme d’investissements en termes d’exploitation (améliorer l’accessibilité du matériel roulant) et d’infrastructure (aménager les arrêts) ;
- article 2 : acquisition de véhicules adaptés au rythme de renouvellement du parc et mise en place d’une procédure unique de manipulation de déploiement de la rampe automatique (la mauvaise manipulation représente 90 % des pannes) ;
- article 3 : réalisation d’un audit pour les 186 lignes de bus les plus fréquentées afin d’identifier les arrêts selon trois catégories : arrêts conformes (accessibles en toute autonomie), arrêts praticables (accessibles avec assistance), arrêts inaccessibles ;
- article 4 : mise en place d’une formation des conducteurs et du personnel d’accueil du public ;
- article 5 : mise en place d’une information aux voyageurs en rendant le site internet accessible aux personnes déficientes visuelles, en communicant sur les lignes accessibles et en précisant les arrêts conformes et praticables.
Aujourd’hui, où en êtes - vous?
Francis Thys : Après 2 ans de travail, en collaboration avec le CAWaB, nous avons mis en place un certain nombre d’actions :
- 106 lignes ont été auditées en Wallonie, ce qui repré- sente environ 7 000 arrêts ;
- les pictogrammes précisant sur la plaque de l’arrêt si celui - ci est conforme ou praticable ont été apposés sur les lignes où au minimum 90 % des bus sont adaptés ;
- 80 % des bus exploités en régie sont équipés en rampe d’accès ;
- 300 personnes ont été formées dans le cadre de la formation initiale pour les nouveaux chauffeurs ; -* le site d’information aux voyageurs de la SRWT (www.infotec.be) communique les arrêts conformes et praticables lors de la recherche d’itinéraires et sur les plans des lignes ;
- un guide relatif aux principes d’aménagement des infrastructures ainsi qu’un mode d’emploi à destination des personnes à mobilité réduite ont été édités.
Ces différentes actions se poursuivent, la convention ayant une durée illimitée. Un Comité de pilotage, regroupant tous les intervenants, se réunit au minimum deux fois par an pour veiller au respect et au suivi des accords.
Est-ce que des démarches similaires ont été mises en place sur la région de Bruxelles-Capitale?
Vincent Snoeck : La STIB (Société des Transports intercommunaux de Bruxelles) avait déjà initié un processus de relevé des arrêts et de qualification de leur accessibilité, mais sur quelques lignes à peine et avec des résultats assez médiocres. Fort de son expérience en Région Wallonne, le CAWaB, trouvant que les avancées bruxelloises étaient trop lentes, a interpellé la STIB en 2014. Une collaboration structurelle s’est alors mise en place. Le principe d’audit de lignes tel que pratiqué en Wallonie a été relancé et la formation des chauffeurs accentuée. Contrairement au SRWT, la STIB gère également des lignes de tramway et de métro. Pour ces dernières, un processus de mise en accessibilité est également en cours mais est beaucoup plus long à mettre en place.
En France, existe - t - il ce type de convention et comment se fait le dialogue entre les associations et les autorités organisatrices des transports ?
Malvina Richez : Non, il n’existe pas en France de conventions de ce type passées entre des associations locales et des autorités organisatrices des transports (AOT). Et si une convention était passée avec chaque AOT, cela aboutirait à un peu plus de 400 conventions sur le territoire national, ce qui ne serait pas efficace en termes d’organisation et de suivi. Cependant, un dialogue au niveau national entre les associations représentant les personnes handicapées, celles représentant les AOT et l’Etat existe et a notamment repris en 2013. L’objectif était de faire un bilan sur la mise en œuvre de la loi de 2005 et de préfigurer les suites à donner après l’échéance de mise en accessibilité de 2015 fixée par la loi. Ces échanges ont abouti à des modifications législatives.
La loi permet ainsi aux AOT de s’engager dans un dispositif appelé SD’AP (schéma directeur d’accessibilité programmée)
qui regroupe un certain nombre d’engagements similaires à ceux de la convention wallone :
- la proposition d’un programme d’investissement des infrastructures (calendrier et financement des aménagements des arrêts prioritaires) ;
- l’acquisition de véhicules adaptés à un rythme déterminé par décret, avec pour objectif d’atteindre 100 % des véhicules accessibles en 2020 ;
- l’identification d’arrêts prioritaires selon des critères définis par décret. L’état des lieux du niveau d’accessibilité de l’ensemble des arrêts est censé avoir été fait dans le cadre du précédent dispositif de SDA (schéma directeur d’accessibilité) de la loi de 2005 mais le nombre important d’arrêts concernés n’a pas permis d’atteindre cet objectif ;
- la mise en place de formation des conducteurs et des personnels d’accueil du public ;
- la mise en place d’une information accessible aux voyageurs.
Dans le cadre de l’élaboration de ce SD’AP, la concertation des associations est nécessaire pour mieux prendre en compte les besoins et attentes des personnes à mobilité réduite. Cette concertation peut se faire via les commissions locales pour l’accessibilité (anciennement CAPH, commission pour l’accessibilité des personnes handicapées) qui sont des instances de dialogues entre les décisionnaires et les représentants des usagers (associations de personnes handicapées, de personnes âgées, acteurs économiques, …) ou via des comités ad hoc.
Quel est le bilan des SD’AP depuis janvier 2016 (voir Transflash n°402) ?
Malvina Richez : Au 1 er juin 2016, on estime le nombre de dossiers SD’AP déposés à environ 250 (sachant qu’une autorité organisatrice des transports – AOT – peut être amenée à déposer plusieurs dossiers), contre 170 2 au 1er décembre 2015 et un peu moins de 100 demandes de prorogations de délai de dépôt.
Les cartes ci - dessous présentent les AOT engagées dans le dispositif SD’AP au 1er juin 2016.
Les AOT régionales
Les AOT départementales
Les AOM (autorités organisatrices de la mobilité)
+ Pour en savoir plus : Site internet d’Atingo- La convention entre le CAWaB et la SRW
Fiche Cerema : « pratiques locales » de la collection Mobilité et Transport sur les SD’AP et le rôle de chef de file : www.certu-catalogue.fr, rubrique Ville Accessible à Tous
● Contact : Atingo : Vincent Snoeck - SRWT : Francis THYS
● Contacts Cerema : Sylvie Mathon – Malvina Richez