Dominique Laousse - SNCF (direction innovation et recherche ) - Chef de groupe
Innovation & Prospective à la Direction Innovation & Recherche SNCF
Sandrine Gomes - Région Hauts-de-France - Direction des Transports - Chargée de mission Fret et Innovation
1 - Dans quel contexte un MiniLAB a-t-il été mis en place dans les Hauts-de-France. Pourquoi la Région s’est-elle lancée dans cette démarche ? Quels résultats en attend-elle ?
Sandrine Gomes et Dominique Laousse : L’intérêt pour la thématique « Mobilités et tempos sociét@ux » est né de plusieurs constats.
D’abord, les résultats de l’enquête régionale montrent que près d’un tiers des picards peuvent être qualifiés de « grands mobiles » et plus particulièrement les utilisateurs du train, qui passent 3h30 par jour dans les transports, un record. Ces particularités régionales nous ont incités à travailler sur le thème des « temps sociétaux » (temps de travail, temps personnel, temps domestique, temps des loisirs, temps de déplacement…) : comment mieux occuper tout ce temps passé à se déplacer, que ce soit en gare ou à bord du train ? Quels services mettre en place pour être mieux en phase avec les rythmes quotidiens de nos usagers ?
Ensuite, face à la profusion de temps collectifs et individuels que doit maîtriser une personne, le pluriel de « mobilités » s’imposait.
Enfin, l’importance prise par le numérique dans la vie quotidienne des voyageurs une mutation sociétale majeure justifie l’arobase « @ » dans le titre (Mobilités et tempos sociét@ux).
Sandrine Gomes : La convention d’exploitation TER 2013-2018 signée entre l’ex-Région Picar- die et la SNCF comporte un volet Innovation. Elle précise notamment la volonté de favoriser les projets collaboratifs innovants.
Dans ce cadre, la Région et la Direction Innovation Recherche SNCF ont co-organisé un MiniLab. L’enjeu principal était de mener une réflexion collaborative et innovante pour explorer de nouvelles solutions et définir de nouveaux services de mobilités, en y associant des acteurs picards de tous horizons (collaborateurs de la Région, universités de Picardie, instituts de recherche, Cerema, représentants SNCF, PME, Associations, AOT…).
Une quarantaine de concepts/projets ont été identifiés, pour certains desquels nous souhaitons maintenant lancer des expérimentations concrètes.
2 - Qu’est-ce qu’un MiniLAB ? Quel en est l’élément déclencheur ? Comment s’organise-t-il ? À quoi sert-il ?
Dominique Laousse : Tout part du constat que l’innovation a changé de nature pour devenir plus concurrentielle, plus intense et plus répétée. Les thématiques des territoires et des mobilités n’échappent pas à cette mutation sociétale. La nature de l’innovation rend indispensable l’adoption de méthodes de conception innovantes, à l’image du MiniLab.
Les MiniLAB [1] partent du postulat que l’innovation ne se restreint pas à l’accumulation de connaissances, ni à quelques idées brillantes, mais qu’elle procède d’un travail de conception collaborative avec un groupe d’acteurs de différents horizons.
© Région Hauts-de-France
Il s’agissait cependant d’éviter avant tout deux écueils principaux : une logique de créativité débridée (un forum de plus, mais quid de l’utilisation des résultats ?), une restriction des débats à des problèmes prédéfinis (une question certes utile, mais quelle per- tinence pour les acteurs ?).
Dès le départ d’un MiniLAB, le principe d’un travail dans « l’inconnu » est donc posé, pour se démarquer du mode projet régi par des règles de management qui brident naturellement l’innovation. In fine, en sortie de MiniLAB, le mode projet reprendra ses droits pour concrétiser les avancées faites, mais le MiniLAB doit rester un espace de liberté et d’ouverture conceptuelle.
La SNCF a une grande expérience des MiniLAB (environ 50 à ce jour). Dans celui des Hauts-de-France, le MiniLAB proposait à la fois un dispositif simple et clair de laboratoire ouvert (LAB) organisé en version concentrée (« Mini » signifiant ici une démarche courte, 5 sessions sur 5 mois) et un défi « Mobilités et tempos sociét@ux » ne pouvant être relevé qu’en mode collaboratif. Les cinq sessions du MiniLAB ont réuni une trentaine de participants venus de tous horizons.
3 -Quels sont les projets en cours d’expérimentation dans le cadre du MiniLAB des Hauts- de-France ?
Dominique Laousse : Les projets retenus sont cohérents avec les enjeux du MiniLAB :
- d’une part proposer des services qui redonnent de l’autonomie aux voyageurs face aux mutations des tempos sociét@ux,
- d’autre part élaborer une stratégie d’exploration permettant de travailler à toutes les échelles temporelles par des projets ciblés.
© Cerema Nord Picardie
Sandrine Gomes : En l’occurrence, nous proposons plusieurs projets, à des horizons différents :
1. « Des balises de géolocalisation à bord des trains pour des services personnalisés aux usagers ».
Il s’agit de placer des balises de géolocalisation dans les trains, pour apporter aux voyageurs des nouveaux services personnalisés, tels que l’information, le guidage… (par exemple : rassurer le client sur le fait qu’il est dans le bon train, l’informer des nouvelles grilles horaires en cas de travaux à venir ou d’allè- gement de services…). D’autres services pourront être testés. On pourrait ainsi informer l’usager des événements ou animations régionales ou locales sur la ligne-test, lui proposer une forme d’interprétation du paysage qu’il traverse, en lui apportant des informations culturelles, touristiques… Une phase inter- médiaire de développement précédera celle de l’expérimentation, sur la ligne Amiens-Compiègne, et permettra d’approfondir les réflexions sur les services à déployer.
Ce projet n’est qu’une étape et pourrait conduire à la constitution d’une plate- forme partenariale utilisant les balises, sur laquelle des acteurs locaux pourraient venir proposer des services divers, à la mobilité ou dans d’autres domaines. Il devrait en tout cas donner des résultats rapidement, ce qui permettra d’engager une dynamique d’innovation visible.
2. « Réflexions sur les services à la mobilité dans les gares des Hauts- de-France ».
© Cerema Nord Picardie
Cette deuxième action reprend le concept de « gare ouverte » ou comment relier la gare à son territoire proche ? C’est un projet à moyen terme car il nécessite de faire des investigations complémentaires et de mobiliser de nouvelles compétences. Concrètement, nous cherchons à définir des services d’aide aux usagers (stationnement, covoiturage…) selon les profils de gare (gares orientées vers Paris, gares tournées vers un pôle économique interne à la région…). La volonté est de mobiliser les usagers et référents locaux (élus, associations…) pour la définition des services et de travailler à leur mise en œuvre en relation avec les autres collectivités.
3. « Recherche sur le rôle des gares dans les dynamiques locales ».
Enfin, sur le long terme, des travaux de recherche seront menés sous la forme d’une thèse portée par plusieurs partenaires du MiniLAB : le Cerema (Cyprien Richer), qui a participé au MiniLAB, souhaite capitaliser l’élan donné par cette dynamique pour proposer une collaboration de plus long terme avec la Région, en y associant la SNCF et « l’éco-système ferroviaire » existant (Railenium et ITrans). Cette configuration collective est inédite dans la mesure où elle n’était pas prévisible en début de MiniLAB. Ce projet s’inscrit dans une démarche de suivi, d’expérimentation et d’évaluation en région Hauts-de-France de projets de valorisation (notamment par les services) des gares ferroviaires et de leurs quartiers.
4 - Quel est votre retour d’expérience sur le MiniLab ? Quelles seraient vos recommandations pour la mise en place d’ateliers similaires sur d’autres territoires ?
Dominique Laousse : Avec trois MiniLAB [2] réalisés en Région, dont celui sur « Mobilités et tempos sociét@ux » en Hauts-de-France, et deux autres démarches qui se lancent dans les régions Centre et Pays de la Loire, l’équipe « Innovation & Prospective » de la SNCF commence à avoir du recul sur l’apport de la démarche MiniLAB.
Ces opérations soulignent l’importance d’une démarche guidée et structurée pour qu’un débat constructif naisse entre des acteurs hétérogènes qui, progressivement, se constituent en un réseau de conception éphémère à même d’explorer des concepts en rupture.
Il est clair aujourd’hui, au vu des expériences de MiniLAB territorialisées dans diverses régions, que ce dispositif permet de créer des collectifs d’innovation et de conception solidaires et efficaces.
Sandrine Gomes : Pour en revenir au MiniLab « Mobilités et tempos sociét@ux », son succès est dû avant tout à l’implication active des participants, qui sont restés mobilisés tout au long de la démarche. Certains sont aujourd’hui particulièrement motivés pour s’impliquer plus concrètement dans les futures phases d’expérimentation.
Dominique Laousse : La qualité du sponsoring de la Région et une organisation très intégrée au niveau de l’équipe-projet Région-SNCF sont également des facteurs clefs de succès.
Sandrine Gomes : Nous sommes heureux que le MiniLAB ait également permis de créer des relations entre des partenaires se découvrant des pôles d’intérêt communs. Aujourd’hui, notre souhait est de poursuivre nos partenariats et de maintenir ce réseau actif.
Dominique Laousse : Pour les acteurs, l’intérêt d’un MiniLAB est double. D’une part, participer à une aventure humaine qui redonne du sens collectif à des questions de vie quotidienne. D’autre part, construire, de façon colla- borative, des innovations potentielles, sachant que toutes les idées ne pourront être mises en œuvre. D’un point de vue plus méthodologique, l’objectif d’un MiniLAB est de « faire sortir » des projets, mais aussi de recréer des capacités d’innovation et de conception, de manière individuelle et collective.
Parmi les idées qui ont été discutées dans le MiniLab : « Le bon train » ou « Blablatrain » consiste à organiser des « rendez-vous » de natures diverses durant le voyage en train. Par exemple, la permanence d’un conseiller d’orientation pour les scolaires, d’un notaire-conseil, d’un Pimms (Point Information Médiation Multiservices) mobile, d’une association locale d’échanges de services, etc. On peut ainsi choisir son train en fonction de l’activité que l’on souhaite réaliser : « en voiture 4 du TER Amiens-Compiègne, prenez rendez-vous avec votre conseiller info-énergie… » « Chef de gare temporaire » vise à permettre l’appropriation active des gares régionales parfois déshumanisées. De façon très symbolique, il s’agirait de donner les « clés de la gare » à un « chef de gare temporaire » (un usager, un riverain, une association, une institution locale…) pour redonner vie à ce lieu vitrine du territoire. |
● Contacts : Sandrine GOMES - Dominique LAOUSSE
● Contact Cerema Nord-Picardie : Cyprien Richer
● Correspondante locale Cerema Nord-Picardie : Nathalie Pitaval