"Le changement climatique constitue probablement le plus important défi auquel l’humanité a été, est et sera confrontée", c’est par ces mots forts que débute la feuille de route décarbonation de la filière du bâtiment. Ces mots marquent également l’urgence de la mise en action de tous les secteurs économiques les plus fortement émetteurs de carbone. Pour répondre à cette urgence et conformément à l’article 301 de la loi « Climat Résilience » la filière aménagement a elle aussi remis au gouvernement une feuille de route décarbonation qui insiste sur la formation de tous les acteurs dans un temps court et sur une mise en récit des bouleversements induits par la décarbonation pour qu’ils puissent être appropriés et acceptés par tous.
Pour répondre à ce défi de l'acculturation, le Cerema Ouest a consacré les premières Rencontres Ligériennes des Acteurs de l'Aménagement à la construction collective d’un récit de la neutralité carbone en Pays de la Loire.
Cette matinée de conférences-ateliers qui a réuni une soixantaine de participants, aménageurs, promoteurs, élus ou services de l’État, a été l’occasion de présenter :
- la feuille de route décarbonation de la filière aménagement par le Cerema,
- les scénarios Transition(s) 2050 par l’ADEME,
- la méthodologie de mise en récit de la prospective par Design Friction.
Le Cerema a également proposé un travail en atelier sur des études de cas d’aménagement dans des communes ligériennes en 2050.
Propos introductif
Samuel Meunier, directeur du Cerema Ouest,
Pour cette première édition, alors même que l’accès au logement est de plus en plus difficile (augmentation des taux du crédit et des coûts de construction, nécessaire rénovation énergétique...), le Cerema a assumé un décalage avec cette actualité en embarquant les participants de ces rencontres en 2050, dans un contexte où collectivement, la France a réussi à atteindre les objectifs de neutralité carbone pris en 2015 lors de la COP21. Au cours de la matinée au travers de conférences et d’un atelier participatif, les intervenants et le public ont partagé les leviers technologiques, financiers ou de la sobriété (développement des EnR&R, mise en place d'un marché carbone national...) qui peuvent contribuer à cette réussite.
Jean-Marc Besnier, après être intervenu lors du RNA de juillet 2023 dans le cadre de l’atelier "L’aménagement pour accélérer les
transitions environnementales", le directeur général de la SEM Laval Mayenne Aménagement a partagé son avis sur ce que peut apporter ce type d'échange dans les pratiques professionnelles et a dit sa perception de l'enjeu que représente la décarbonation dans son activité d'aménageur. A ce titre il a présenté la stratégie 2026 de Laval Mayenne Aménagement et son accompagnement des collectivités dans leurs transitions énergétique, environnementale et écologique par le renouvellement urbain ou l'investissement en faveur de la TE par exemple..
Conférences
Les leviers
Juliette Maître, directrice de projets Aménagement et Transition au Cerema, s'est faite l’écho des travaux que la filière Aménagement a mené pour remettre au gouvernement sa feuille de route décarbonation au printemps 2023. Cette feuille de route avance plus de 150 mesures en six axes dont le renouvellement urbain, la mobilisation du foncier public ou le développement de puits carbone.
La feuille de route met aussi en avant des actions susceptibles de financer les surcoûts potentiels de la décarbonation. Deux actions sont particulièrement mis en relief :
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La modulation de la participation aux équipements publics, en ZAC ou PUP, en fonction de la réduction des émissions de CO2 de la zone. C’est ainsi une façon de valoriser la tonne de carbone dans l’opération d’aménagement.
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L’intégration dans un mécanisme de certificats "carbone" (existants ou à créer) des opérations d’aménagement particulièrement vertueuses. Ces certificats pourraient alors être commercialisés.
Les scénarios
Florian Rollin, ingénieur produits biosourcés à l’ADEME a présenté le travail prospectif intitulé "Transition(s) 2050" publié en novembre 2021. Destinés à illustrer le champ des possibles pour atteindre la « neutralité carbone » et en explorer les diverses implications, ces scénarios viennent éclairer les décisions incontournables à court et moyen terme.
Tous ces scénarios proposent une approche systémique car la neutralité carbone n’est pas qu’un sujet énergétique. Les scénarios incluent donc la croissance des énergies renouvelables mais également la question des puits de carbone – impliquant notamment l’adaptation des massifs forestiers et de l’agriculture, la production industrielle, l’économie circulaire dans la construction, etc.
Dans la lignée de ces travaux, l'ADEME a produit en mars 2022 un "feuilleton" sur la filière construction neuve. Il met en récit, pour cette filière, les mutations induites par les 2 scénarios prospectifs « intermédiaires » (S2 et S3). Mais en tant que tel, il n'y a pas aujourd’hui de déclinaison spécifique sur la filière aménagement.
La mise en récit
Bastien Kerspern, designer d’interactivité spécialisé dans l’innovation publique, est membre d’un studio de design basé à Nantes, "Design Friction". En présentant la méthode de design fiction ainsi que des exemples sur lesquels il a déjà travaillé, Bastien Kerspern a invité les acteurs de l’aménagement à construire et incarner des fictions qui agissent en tant que boussoles. Une chorégraphie en 3 temps permet d’atteindre ces objectifs : un pas en avant pour anticiper les transformations, un pas sur le côté pour rafraîchir ses imaginaires et un pas en arrière pour prendre du recul sur ses actions d’aujourd’hui.
Anne Fraisse, co-présidente de la feuille de route, concluait le préambule de la feuille de route en précisant que la révolution que représente la démarche de décarbonation "doit être accompagnée et explicitée pour être comprise [...]. Le récit de cette révolution, qui en est un élément essentiel, reste à construire". C’est donc la construction de ce récit qu’introduit Bastien Kerspern et qui a été le cœur de l’atelier prospectif qui a suivit la séquence de conférences.
les ATELIERS
Par groupe de 6, les participants ont pu réfléchir collectivement aux impacts des scénarios imaginés par l’ADEME sur les fondamentaux de l’aménagement, les pratiques et les métiers de la filière. Ce sont les scénarios "extrêmes" 1 et 4 qui ont été les supports de cette réflexion. Leur radicalité a permis de pratiquer plus facilement la rupture avec les habitudes de faire.
Nous sommes désormais en 2050, dans une ville des Pays de la Loire et des solutions à l'accueil des activités économiques ou au logement des habitants doivent voir le jour en restant neutres en carbone !
Les fondamentaux de l'aménagement en 2050... enseignements des ateliers
... avec une neutralité carbone acquise par la sobriété
La démétropolisation est en cours au profit du développement de pôles urbains de petites tailles et de proximités. Le démembrement entre foncier et bâti prend de l'ampleur, tant pour les activités économiques (avec une action publique plus forte) que pour le logement (fin de la propriété foncière, on paie simplement l'occupation des lieux). Dans certains cas on voit apparaître des tentatives d'indivision du foncier communal sur le modèle de la Grande Brière.
Les usages se côtoient dans ces pôles (logement, activité économique, commerce...) , dans les quartiers, dans le lotissement, dans les logements (l'habitat accueille le bureau de télétravail....). Les espaces délaissés (zones d'activités obsolètes, infrastructures devenues inutiles...) sont largement rendus à la nature. Les opérations de renaturation nécessitent une montée en compétences des aménageurs dans les domaines de l'agronomie et de la biodiversité.
Les services se mutualisent largement (transports, services à la personne...) et les logements se divisent pour accueillir des foyers de plus petite taille.
Pour permettent tous ces changements d'usages, la médiation, l'accompagnement des citoyens deviennent des missions phares partagées entre l'aménageur et la collectivité. Dans ce contexte, il est nécessaire de trouver de nouvelles méthodes participatives pour accompagner les usagers dans la prise en main de leur bâtiment, leur ville.
... avec une neutralité carbone acquise par la technologie
Le maître mot est Compensation. Par voie technologique ou naturelle, la compensation carbone est de tous les projets d'aménagement. Les métiers de l'aménagement nécessitent toujours plus de connaissances techniques (notamment sur le carbone).
Les collectivités mettent en place des stratégies de planification carbone et développent des indicateurs pour mesurer la production et les émissions carbone.
Les dispositifs de compensation amène également à la mise en place de boucle circulaire. Par exemple, la chaleur émise par les entrepôts, datacenters ou autres industries carbonées est récupérée pour les logements. Les fermes urbaines alimentent les foyers et les méthaniseurs locaux.
La ville se verticalise, les fonctions se superposent (gratte-ciels, surélévation). Les logements s'installent au dessus des entrepôts. Selon la journée, les espaces servent à des usages différents. Ville et bâtiments sont "intelligents", les aménageurs doivent gérés toutes ces données produites.
Les constructions restent très nombreuses et permettent aux filières de proximité (réemploi, biosourcés ou d'autres filières décarbonées) de prendre de l'ampleur.