2 décembre 2022
Ville verte
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À peine apparus, les capteurs pour connaître le niveau de remplissage des conteneurs de déchets, le taux d’occupation des zones de stationnement ou encore le bruit ambiant sont-ils déjà dépassés ? Les nouvelles technologies de l’internet des objets (IoT) promettent de suivre la qualité de l’air, l’état du trafic routier ou encore l’état des ouvrages d’art.
Face à la prolifération des usages, la réglementation se met en place et encadre l’utilisation des données ainsi générées. Dans cet environnement mouvant, les collectivités doivent être vigilantes sur le mode d’organisation à adopter (régie, marché public, délégation de service public) avant de se lancer.

logo techni citésCet article du Cerema paru dans la revue Techni Cités fait le point sur les technologies pour les acteurs des collectivités.

 

DES CAPTEURS BIENTÔT OMNIPRÉSENTS

Internet et le web ont été créés pour faciliter la communication scientifique entre chercheurs. Après s’être imposés à partir des années 1990 à l’ensemble du grand public, les ordinateurs ont tiré profit de ces réseaux pour s’interconnecter et augmenter les ressources à leur disposition. Le web des données (ou web sémantique) a ensuite émergé. Des applications concrètes, comme les moteurs de recherche ou le "cloud computing", illustrent ces évolutions.

À son tour, l’internet des objets, en anglais "internet of things" ou plus simplement "IoT", prolonge l’usage de ces réseaux par des objets dont la vocation n’a aucun caractère informatique (compteurs d’eau, niveau de remplissage des poubelles…). Par des données recueillies automatiquement et en continu, ces objets connectés, dotés de capteurs, rendent possible la création de nouveaux services à leurs utilisateurs ou constituent une aide à la maintenance et à l’exploitation de dispositifs répartis sur une zone géographique donnée.

logiciel de suivi du système de chauffage et ventilation d'un batiment tertiaire
Logiciel de suivi du système de chauffage et ventilation 

Les évolutions technologiques des capteurs sont telles qu’en les miniaturisant, et en adaptant leurs caractéristiques à de multiples environnements (précision intrinsèque, qualité de mesure, prix, robustesse, longévité, autonomie, volumétrie des données collectées et transmises, réactivité…), il ne semble pas y avoir de domaine relevant de la gestion de parc, du patrimoine ou du suivi de politiques publiques où ils ne seront pas utiles : réseaux urbains de fluides, de transport ou de collecte de déchets, réseaux de mesures ou de surveillance de phénomènes, etc.

Une autre évolution en cours est le déploiement de plateformes de gestion de ces données assurant la mise à jour en continu des informations en synergie avec les plateformes d’open data. Le service aval qui utilise les données gagne alors en qualité.

Le secteur de l’IoT est loin d’être stabilisé, et ses acteurs dominants n’ont pas encore émergé. Le potentiel d’innovation est toujours élevé et l’offre pas encore standardisée. Quoi qu’il en soit, l’introduction de ces technologies dans l’espace public va générer beaucoup de données et les opérateurs devront respecter les dispositions réglementaires liées à la protection de la vie privée (règlement général pour la protection des données, UE 2016/679) ou l’ouverture des données publiques (loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique)

Le syndicat d’énergie du Finistère, qui pilote un projet d’IoT à l’échelle du département, a installé ses antennes LoRa sur des équipements publics.
Le syndicat d’énergie du Finistère, qui pilote un projet d’IoT à
l’échelle du département, a installé ses antennes LoRa
sur des équipements publics.

Ainsi, un chapitre relatif aux données (localisation, vitesse, etc.) des véhicules a été introduit dans le code des transports par l’ordonnance n° 2021-442 du 14 avril 2021. Il régule l’accès à ces données et précise leur usage pour éviter toute dérive.

Ainsi, les données pertinentes des systèmes intégrés aux véhicules terrestres à moteur sont rendues accessibles aux gestionnaires routiers, forces de l’ordre et services d’incendie aux fins de détection des incidents et accidents ; aux gestionnaires routiers aux fins de connaissance de l’infrastructure routière ; aux gestionnaires d’infrastructures routières et aux autorités organisatrices de la mobilité aux fins de connaissance du trafic routier. Le point sensible est le respect de la vie privée : un véhicule intelligent peut communiquer la position du logement ou du lieu de travail d’une personne. Pour faciliter la mise en oeuvre de ce texte, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a produit un pack de conformité "véhicules connectés et données personnelles".

Par ailleurs, un amendement de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, a été adopté pour faciliter la transmission des données de mobilité aux autorités organisatrices. Elles ont désormais la possibilité de recueillir les données d’usage des assistants de déplacement numériques (les smartphones et leurs applications de guidage par exemple), ce qui leur donne les moyens d’adapter leur politique de mobilité pour proposer des alternatives à la voiture individuelle.

Enfin, la mise à disposition de ces données en open data, si elle reste une obligation, est compliquée par leur production en continu, ce qui nécessite la mise en place de moyens techniques coûteux. Un deuxième aspect concerne l’anonymisation de ces données, leur agrégation le cas échéant, afin de garantir aux citoyens une protection efficace de leur vie privée et favoriser l’acceptabilité par l’usager.

 

Des usages diversifiés

La gestion des réseaux urbains

Des capteurs peuvent permettre de surveiller à distance et en temps réel l’état des ouvrages d’art.
Des capteurs peuvent permettre de surveiller
à distance et en temps réel l’état des ouvrages d’art.

L’usage le plus évident de l’IoT concerne l’optimisation de la gestion des réseaux urbains grâce à la télérelève, qu’il s’agisse des réseaux d’électricité, de chauffage ou encore d’eau. Ces systèmes permettent de repérer des phénomènes anormaux et coûteux à identifier autrement : fuites, défaillances, mauvaises utilisations, etc. Ils génèrent des économies de fluides par une résolution accélérée des dysfonctionnements. L’information ainsi disponible aide à optimiser les infrastructures, réguler une ressource ou une nuisance, optimiser une exploitation, et ce dès les plus petites échelles de territoires.

La mise en place de capteurs de présence de véhicules sur les places de stationnement peut améliorer la rotation sur les places dédiées au commerce de proximité et augmenter le taux de paiement. Le couplage des données de trafic et de qualité de l’air permet d’optimiser la régulation des carrefours à feux en fonction des nuisances mesurées. Les exemples mixant ces différentes approches au sein de l’espace public abondent : éclairage intelligent, mesure de nuisances (qualité de l’air, bruit, incivilités…) que ce soit de manière collaborative grâce à des capteurs mobiles (le citoyen avec son téléphone joue lui-même le rôle de capteur), ou par des capteurs fixes.

Sur la base des données recueillies en temps réel, des services aux usagers peuvent également être développés. L’information sur la position des transports en commun et donc sur les temps d’attente réels aux arrêts peut constituer une aide à la décision, susceptible de favoriser l’utilisation des transports collectifs. Ces technologies portent la promesse de rendre plus efficiente la gestion publique. Reste qu’il est difficile d’objectiver le coût global dans un contexte très changeant. Il faut donc rester prudent dans leur choix et éviter l’enfermement dans des solutions propriétaires.

Voici quelques exemples d’usage de capteurs IoT :

 

Instrumentation des ouvrages d’art

Capteurs sur des vérins - Cerema
Capteurs sur des vérins - Cerema

L’espace public, et en particulier celui dédié aux transports, fait l’objet de recherches et de développements très importants, à la faveur de ces nouvelles technologies numériques. Le développement de l’IoT, mais aussi de méthodes d’analyse de données améliorées, grâce à l’intelligence artificielle, permet d’envisager une extension de l’utilisation de ces capteurs dans le cadre de la gestion courante des ouvrages.

Ainsi, une révolution de la gestion de patrimoine semble à portée de main dans les prochaines années. L’État y contribue en attribuant 50 % de subventions (représentant un budget d’environ 8 millions d’euros) à une sélection de dix-sept projets portés par quarante-huit entreprises et entités de recherche, sélectionnés dans le cadre d’un appel à projets piloté par le Cerema.

Les projets retenus devraient permettre des avancées sur de nombreux sujets :

  • détection des affouillements (un des aléas majeurs) par analyse fréquentielle de la réponse dynamique de la structure ;
  • détection de chocs de poids lourds en sous-face de tablier ;
  • détection de poids lourds en surcharge : l’effondrement dramatique du pont de Mirepoix dans le Tarn en 2019 rappelle la nécessité du strict respect des limitations de tonnage imposées aux ouvrages ;
  • détection de la corrosion des câbles : bien des zones des ouvrages à câbles ou précontraints demeurent difficiles à surveiller (ancrages, déviateurs). L’objectif de ce projet est d’utiliser des capteurs RFID permettant le suivi de la corrosion ;
  • gestion prédictive de l’endommagement des joints de chaussées par analyse du signal sonore sous passage des poids lourds pour détecter les premiers signes de dysfonctionnement ;
  • ponts en maçonnerie (les plus présents en France) : il s’agit ici d’utiliser l’analyse fréquentielle de la réponse dynamique aux sollicitations ambiantes ;
  • surveillance structurelle générale : de nombreuses propositions ont été faites qui visent notamment à combiner l’utilisation d’instrumentation et de traitements par intelligence artificielle, à utiliser l’imagerie satellitaire, à transposer les méthodes géophysiques (sismique, radar) à la caractérisation du béton armé ;
  • aide aux inspections détaillées : en améliorant les inspections par la détection et l’analyse automatique des défauts d’ouvrage par intelligence artificielle.

Ces projets s’accompagnent d’instrumentations sur desouvrages représentatifs, permettant de mesurer le coût et l’apport de ces méthodes pour détecter les pathologies en phase initiale et minimiser la dépense publique ainsi que la gêne aux usagers.

 

Routes et véhicules connectés

Lancé en 2016, le projet Inecom développe des applications dans les domaines de la mobilité et de la sécurité routière en lien avec les besoins des collectivités. Ici, les vitesses de circulation moyennes de véhicules connectés.
Lancé en 2016, le projet Inecom développe des
applications dans les domaines de la mobilité
et de la sécurité routière en lien avec les
besoins des collectivités. Ici, les vitesses de
circulation moyennes de véhicules connectés.

Ces nouvelles technologies concernent aussi les enjeux de la mobilité : sécurité routière pour les usagers comme les agents d’intervention, fluidification des trafics, priorité à des modes de transport plus vertueux aux intersections… Des systèmes de routes connectées, ou systèmes de transports intelligents coopératifs (STI-C ou C-ITS), se sont développés à l’aide de projets de recherche et de déploiement nationaux puis européens : Scoop@F, dès 2014, a mis l’accent sur la notion de sécurité des agents d’intervention, par exemple lors de travaux. Les projets C-Roads (2016-2021) et InDiD (2019-2023) continuent à définir, développer, et tester des cas d’usage visant à faciliter et sécuriser la mobilité tout en apportant une dimension d’harmonisation à l’échelle européenne. Ces projets préparent la route de demain, sur laquelle les véhicules recevront directement du gestionnaire routier une information adaptée à leur itinéraire : temps de parcours, incidents… Le développement et la sophistication progressive des capteurs embarqués font du véhicule un capteur de l’environnement et une source de données, utile aux autres usagers et au gestionnaire, pour la connaissance en temps réel des conditions de circulation ou pour la gestion du patrimoine. Enfin, des premières études soulignent l’intérêt de ces données pour traiter des problématiques de sécurité routière : vitesse moyenne trop élevée au regard de l’environnement, lieux de freinages brusques et répétés des véhicules…

 

Des capteurs pour surveiller la qualité de l'air portuaire

Le port autonome de Strasbourg utilise le système d’évaluation des concentrations atmosphériques de la société Ecomesure pour suivre l’impact de ses activités sur la qualité de l’air.
Le port autonome de Strasbourg utilise le système d’évaluation des concentrations atmosphériques
de la société Ecomesure pour suivre l’impact de ses activités sur la qualité de l’air.

Déjà engagé vers une mobilité écoresponsable et animé par une démarche d’écologie industrielle sur son territoire, le port autonome de Strasbourg met en oeuvre, avec le concours du Cerema et de la société Ecomesure, un système d’évaluation des concentrations de polluants atmosphériques issues des activités portuaires terrestres et fluviales en différents points stratégiques des emprises portuaires, pour en assurer le suivi et contribuer à une amélioration globale de la qualité de l’air.

 

Des routes plus sûres et intelligentes

Altaroad, une start-up française créée en décembre 2017, s’appuie sur une technologie (capteurs et algorithmes) développée par une équipe de recherche commune à l’École polytechnique, au CNRS et à l’université Gustave-Eiffel.

Le Cerema accompagne la société Altaroad dans le paramétrage de son système de pesage dynamique et dans l’évaluation de ses performances métrologiques.
Le Cerema accompagne la société Altaroad dans le
paramétrage de son système de pesage dynamique
et dans l’évaluation de ses performances métrologiques.

Elle propose des solutions IoT de mesure (trafic, pesage…) pour rendre la route plus sûre et intelligente. Le Cerema, via son dispositif de soutien à l’innovation CeremaLab, accompagne ainsi Altaroad dans le paramétrage de son système de pesage dynamique "TopTrack" et dans l’évaluation de ses performances.

Bien choisir son organisation

Le marché de l’IoT n’est pas encore stabilisé et l’investissement est risqué pour les acheteurs publics : pérennité des solutions, maîtrise des données, continuité du service… Autant d’incertitudes invitent à la prudence et à minimiser la dépendance à un prestataire unique. Miser sur une interopérabilité maximale et assurer la portabilité des données lors de la contractualisation sont des précautions minimales.

Le déploiement d’une plateforme de gestion de ces données de type hyperviseur représente un coût supplémentaire. Une démarche mutualisée à l’échelle des acteurs du territoire, plus avantageuse et plus sécurisée sur la durée, est donc recommandée.

eviter les embouteillagesDiverses formes de contrats existent pour déployer ces dispositifs, chacune ayant ses avantages et inconvénients. Dans tous les cas, la collectivité doit formuler ses besoins d’accessibilité, de confidentialité, de sécurité, de propriété des données et des développements logiciels comme des équipements (capteurs, mobilier urbain…) et définir l’architecture technique.

Enfin, des clauses environnementales seront incluses pour un projet soutenable. Lorsque la collectivité souhaite déployer un réseau IoT et en rester propriétaire, elle peut acquérir une solution et en assurer le déploiement. Cela nécessite d’internaliser de nouvelles fonctions et implique une montée en compétences techniques de la collectivité incertaine vu la volatilité des technologies et des acteurs.

Elle peut aussi recourir à un prestataire pour assurer l’exploitation et renforcer ses moyens tant sur son réseau IoT que sur sa gestion et l’ouverture des données. Autre solution : la passation de marchés publics, classique pour le déploiement et la gestion des données d’un réseau IoT. La collectivité définit sa stratégie, ses besoins fonctionnels et publie son cahier des charges.

Cependant, il est vivement recommandé de réaliser un POC (Proof of Concept, preuve de concept ou démonstration de faisabilité, ndlr), ou de se référer à des retours d’expérience d’autres collectivités avant de s’engager sur un périmètre large et de longue durée. Une cartographie de projets est réalisée par le Cerema afin de faciliter ce partage d’expériences entre collectivités.

 

Espace IoT

 

Une autre approche contractuelle consiste à soutenir volontairement une solution innovante dans le cadre d’une expérimentation. Il faut alors recourir à un appel à projets ou un partenariat d’innovation. Cette formule, créée en 2016, permet la contractualisation simultanée de la recherche et développement et de l’acquisition. Pour autant, il n’oblige pas l’acquisition à l’issue du processus, ce qui le rend souple bien que juridiquement complexe avec un suivi important.

Certaines collectivités utilisent aussi des accords moins formels, tels que des conventions d’occupation du domaine public, des marchés à montants faibles ou des "gentlemen’s agreement". Ces contrats, plus souples, permettent de tester rapidement des solutions et d’avancer pas à pas dans leur déploiement.

Enfin, dernière possibilité, la délégation de mission de service public. Celle-ci devra suivre les évolutions technologiques, car elle s’inscrit dans un temps plus long. Les offres de services s’appuient de plus en plus sur des objets connectés, il en va de l’évolution des modèles économiques des acteurs concernés comme de la nécessité d’une gestion plus sobre et plus conforme aux efforts de transition énergétique et écologique. De fait, la collectivité doit être très vigilante sur la propriété des données et leur accessibilité pour les exploiter et les ouvrir.

 

Par Bernard Allouche, directeur délégué à la supervision générale des données à la direction de la recherche, de l’innovation et de l’international du Cerema, avec l’appui de Sophie Houzet, responsable de la mission Villes et territoires intelligents, et Sylvain Belloche, directeur de projet Véhicule intelligent, à la direction technique Territoires et ville, Florent Boithias, responsable du groupe Bâtiment à l’Agence d’Autun, Pierre Corfdir, responsable du secteur d’activité Ouvrages d’art à la direction technique Infrastructures de transport et matériaux.