8 octobre 2024
Tourbières dans le Parc Naturel du Haut Jura
Cerema
Les 18 et 19 septembre 2024, le Séminaire organisé par le Cerema réunissait dans le Haut-Jura une cinquantaine d’acteurs de la montagne pour échanger sur les enjeux de l’eau, de la forêt et du changement climatique dans les territoires de moyenne montagne. Tables-rondes, visites de terrain et ateliers de travail ont permis de partager des éléments de compréhension des effets du changement climatique sur les milieux naturels et d’appréhender l’intérêt de la gestion adaptative de ces milieux. Retour sur quelques temps forts de ce séminaire.

Au fil des ans, le Séminaire montagne organisé par le Cerema en partenariat avec la DGALN (Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature) du ministère chargé de la transition écologique ainsi qu’avec l’ANCT (Agence Nationale de Cohésion des Territoires) et le commissariat du massif concerné, permet d’échanger et faire réseau entre techniciens territoriaux œuvrant en montagne dans les champs de la transition écologique et de l'aménagement des territoires : 

Techniciens de collectivités, de Pôles d'Equilibre Rural (PETR) (PETR), parcs naturels régionaux, SCoT de montagne, DDT et DREAL, commissariats de massif, agences actives dans le champ de la transition écologique et énergétique ont été accueillis les 18 et 19 septembre 2024 par la Communauté de Communes La Grandvallière, qui fait partie du Parc naturel régional du Haut-Jura.

 

Un séminaire 2024 axé sur l'eau, la forêt et le changement climatique

Dans le Jura, les effets du changement climatique sur l'eau et la forêt, deux marqueurs de ce massif karstique, sont déjà bien visibles. Par leur ampleur et leur rapidité, les phénomènes présents sur ce massif mettent en évidence la fragilité des milieux naturels et la situation à venir sur l’ensemble des territoires de montagne.

Le séminaire 2024 s'est appuyé sur ce contexte territorial pour comprendre les mécanismes à l'œuvre sur les milieux naturels du fait du changement climatique, et mieux appréhender comment les actions favorisant la restauration et la conservation de ces milieux permettent de préserver les services écosystémiques en montagne. 

 

Le Haut-Jura, un territoire révélateur des enjeux de la moyenne montagne face au changement climatique

Après l’accueil par Yvan Auger, Maire de Nanchez et l’ouverture par Dominique Colin, Directeur Adjoint du Cerema Centre-Est, Hélène de Kergariou, Commissaire à l'aménagement, au développement et à la protection du massif du Jura, a introduit la table ronde de la matinée en brossant en quelques traits le portrait du massif du Jura.

Ce massif de moyenne montagne, transfrontalier avec la Suisse, s’étend sur deux régions, Auvergne-Rhône-Alpes (AuRa) et Bourgogne-Franche-Comté (BFC), et culmine à 1720, 80 m. Il est constitué d’une succession de plateaux offrant des paysages très variés. Malgré son relief, le Jura est un massif habité avec 620 000 habitants en 2008, 65 000 frontaliers (+20 000 en 10 ans et ce nombre augmente). Le nombre d’habitants est en augmentation, d’où une nécessaire cohérence avec la ressource en eau

La forêt, à dominance résineuse, couvre 43% du massif. Cette ressource des collectivités est menacée par le stress hydrique avec les attaques parasitaires du scolyte. Autres particularités de ce massif : l’AOC Bois du Jura, la production fromagère (4 AOC) et la constitution en fruitière, l’industrie (plasturgie, lunetterie, horlogerie, métiers du bois …) et l’artisanat, ainsi que le tourisme confronté à la baisse de l’enneigement.

La présentation :

Forêt du Haut-Jura - Arnaud Bouissou - TERRA

Table ronde de la matinée autour de la questions "Eau, forêt, biodiversité, quels enjeux des territoires de moyenne montagne face au changement climatique ?", avec Françoise Vespa, Présidente de la Communauté de Communes de la Grandvallière et Présidente du Parc naturel régional du Haut-Jura, Valérie Pagnot, Vice-Présidente de la Commission permanente du Comité de massif du Jura et Conseillère Régionale Bourgogne-Franche-Comté, et Sophie Deknuydt, Sous-Préfète de l’Arrondissement de Saint-Claude.

Françoise Vespa a souligné la magie du territoire par les espaces visuels qu’il offre, provoqués par l’humidité. Or ces espaces, encore plus sensibles que les zones habitées déjà en manque d’eau pour certaines, subissent des modifications climatiques visibles à l’œil nu. Par exemple, l’augmentation des températures de l’eau du lac de l’Abbaye perturbe les échanges entre masses d’eau, réduisant l’oxygénation et provoquant l’eutrophisation du fond du lac, avec des répercutions sur la vie des poissons. Le maitre mot de la Charte du PNR, en cours de révision est "s’adapter" en préservant les ressources qui font la richesse du territoire.

Valérie Pagnot a souligné quant à elle, la particularité transfrontalière du massif du Jura, un atout pour travailler avec les voisins suisses confrontés aux mêmes problématiques, qu’ils traitent parfois avec une approche différente du fait d’une autre structuration politique. Valérie Pagnot a insisté sur l’enjeu pour les prochaines années, d’acculturer les populations à l’adaptation au changement climatique, leur apprendre à coopérer pour relever les défis et "gravir la montagne qui est devant nous". 

Le massif est un bel outil pour travailler ensemble sur ces adaptations et expérimenter. Le plan d’adaptation du massif au changement climatique permet une photo de l’avancée de l’adaptation, qui est le vrai sujet. Pour cela, il faudra utiliser à plein le "droit à l’expérimentation", libérer les énergies positives, travailler "pour des projets" plutôt que "contre", car le changement peut être positif.

Sophie Deknuydt a fait part de la mobilisation du préfet du jura et de ses services pour être au rendez-vous de l’accompagnement des projets des collectivités face aux enjeux du changement climatique, en veillant à "anticiper" et pas simplement à "réagir", même avec l’accélération de ce changement. Parmi les actions menées, Sophie Deknuydt cite "l’Atelier des territoires en montagne" mis en œuvre dans le massif du Jura avec le PNR du Haut-Jura, ainsi que la planification écologique. La feuille de route de la planification écologique co-construite avec les collectivités dans le Jura devra se révéler dans les documents de planification à la main des collectivités, avec le soutien de l’Etat dans le cadre d’une responsabilité collective. 

Cette responsabilité collective se retrouve aussi dans la transformation de la filière bois particulièrement importante dans le Jura, ce qui renvoie à des questions du maintien de l’exploitation et de la valorisation du bois, même avec le scolyte, et de l’évolution des espèces plantées.  Innover, dialoguer, travailler ensemble … sont les maitres mots pour des territoires de montagne plus résilients.

 

Coup de projecteur sur le changement climatique et l’intérêt de la gestion adaptative pour pouvoir maintenir les services écosystémiques 

Tourbière dans le parc naturel du Haut-Jura - Cerema

Le grand témoin du séminaire, Daniel Gilbert, Ecologue, Professeur au Laboratoire Chrono-Environnement de l’Université de Franche-Comté, Directeur de la Zone Atelier Arc Jurassien et membre de la Commission permanente du Comité du massif du Jura a alerté sur la situation critique du réchauffement climatique et ses conséquences sur les socio-écosystèmes, avec une présentation intitulée "Climat, eau… en route vers l’inconnu", articulée autour de trois grands messages.

1er message : Les activités humaines sont responsables du changement climatique depuis un siècle (et même plus …) du fait des émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane), avec une accélération de l’augmentation de la température ;  

2e message : Le réchauffement climatique ne peut pas se stabiliser ou redescendre avant 2050 pour des raisons d’inertie ; il va se poursuivre jusqu’en 2050 (avec une augmentation prévisible de la température de + 1,5 °C en 2030 et + 2°C en 2050). Dans ce contexte, la montagne jurassienne pourrait devenir un refuge, mais elle est confrontée d’ores et déjà des problèmes d’eau. Les phénomènes biologiques de réaction au changement climatique ne sont absolument pas linéaires : il y a des effets seuils qui provoquent des effets de rupture, par exemple l’augmentation brutale de la mortalité des arbres ;

3e message, plus personnel : Nous devons 

  1. limiter le réchauffement pour nos enfants, 
  2. nous adapter. 

Pour cela, c’est à l’échelle des collectifs qu’il est le plus pertinent d’agir. La caractéristique du futur sera un monde plus chaud, mais surtout plus fluctuant avec des extrêmes plus marquées et il faut se préparer à des basculements : les ruptures sont en train d’arriver, en particulier dans les espaces qui manquent le plus d’eau. "Ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’un monde et il faut se préparer au changement."

La présentation :

Trois visites de terrain

Source : Document produit par le Cerema à partir des livrets pédagogiques produits par la Zone Atelier Arc Jurassien

Les trois visites de terrain proposées en simultané étaient axées sur l’eau dans différents états :

  • Visite de la réserve naturelle régionale des Tourbières du Bief du Nanchez, avec Séverine Goertz, Conservatrice de la Réserve naturelle et Pierre Durlet, Chargé de mission Zones humides, PNR du Haut-Jura ;
  • Visite du site classé des Cascades du Hérisson, avec Jean-Luc Millier, Inspecteur des sites et chargé de mission paysage à la DREAL BFC, Vincent Fister, Coordonnateur scientifique du Pôle Karst à l’EPTB Saône et Doubs, Julie Fueyo, Responsable de l'Unité Territoriale de St Laurent à l’ONF ; 
  • Visite de l’Echappée Bienne, opération de renaturation de la Bienne et de transformation de la ville de Morez, avec Edouard Prost, DGS de la CC Haut-Jura Arcade et Romain Bellier, Chargé de mission Bienne et Saine au PNR du Haut-Jura
     

La séquence de travail a porté sur une relecture croisée des 3 visites, en s’appuyant sur la "cascade des services écosystémiques", schéma conceptuel inspiré des livrets pédagogiques produits par la Zone Atelier Arc Jurassien sur les quatre principaux socio-écosystèmes du massif du Jura (Lacs et tourbières / Rivières et Karst / Prairies / forêts et prés-bois)

Ce schéma permet de prendre conscience, d’une part de ce que les milieux naturels permettent de fournir « gratuitement » (des fonctions écologiques, des services écosystémiques, des bénéfices, des valeurs sur un plan plus immatériel), d’autre part de ce qui est lié à la présence de l’homme (les pressions, les moyens/actions/efforts consentis par l’homme pour limiter ces pressions dans le cadre d’une gestion adaptative et pour garantir le maintien des services écosystémiques).
 

Les participants ont été invités à faire part de leurs idées pour développer des complémentarités d’actions dans le cadre d’une gestion adaptative

Parmi les idées émises :

  • La sensibilisation et la communication
  • L’éducation à l’environnement
  • L’interconnaissance entre acteurs, entre services
  • Le partage des vocabulaires et des connaissances
  • Le travail avec les entreprises (forestiers, agriculteurs …) pour des pratiques respectueuses de l’environnement
  • La création d’instances de coopération et concertation avec les acteurs concernés
  • La coordination de programmes d’actions, le dialogue des documents de gestion
  • Le partage de doctrines, la définition d‘objectifs communs
  • La concertation et la conciliation des usages
  • La gestion démocratique de la ressource en eau
  • La régulation de la fréquentation touristique
  • La protection réglementaire ou physique
  • La prise en compte des services écosystémiques dans la planification (SCoT et PLU)
  • Le "dosage" dans l’aménagement, la maîtrise foncière
  • Le ralentissement de l’écoulement de l’eau
  • Le renoncement, l’inconstructibilité
     

Hélène de Kergariou, commissaire à l'aménagement, au développement et à la protection du Jura

 

Bonjour Madame de Kergariou. Vous êtes commissaire à l'aménagement, au développement et à la protection du Jura : pouvez-vous nous expliquer quel est votre rôle vis-à-vis de ce territoire ?

Hélène de Kergariou

Les Commissariats à l’aménagement des massifs ont été créés par la loi Montagne de 1985 (renforcée par la loi Montagne II en 2016). C’est une loi exclusivement dédiée aux territoires de montagne, et qui a introduit la notion de "massif", territoire qui s’affranchit des limites administratives pour constituer un ensemble cohérent. Le massif du Jura par exemple, est situé sur deux régions et quatre départements, et compte tenu de ses particularités géographiques, de ses enjeux spécifiques liés au climat, à la pente ou l’altitude, il est indispensable d'avoir une vision d'ensemble de ce territoire.

Mon rôle en tant que Commissaire de massif est multiple, en termes d’animation du Comité de massif, de mise en œuvre du Contrat de Plan interrégional Etat-Régions du massif, de déploiement des programmes "montagnes" de l’ANCT, etc. mais pour résumer, l’équipe du Commissariat de massif accompagne les acteurs du massif dans l’identification et la mise en œuvre de solutions concrètes et pérennes pour le développement économique et écologique du massif, en s’appuyant sur les enjeux spécifiques de ce massif jurassien. Dans ce cadre, nous participons au financement de projets expérimentaux, innovants, interdépartementaux, ou exemplaires, s’inscrivant dans nos documents cadres. Les thématiques sont très diverses : environnement, biodiversité (restauration de milieux humides, travaux sur la connaissance…), valorisation des filières économiques (AOC bois, lunetterie, filières artisanales…), tourisme, mobilité, attractivité du territoire, transfrontalier, etc.

 

Vous avez présenté les spécificités du massif du Jura lors du séminaire. Quelles sont-elles ?

Les massifs de montagnes français ont chacun de réelles spécificités, dues à l’histoire de leur formation, à leur géologie, leur positionnement géographique et leur histoire économique.

La spécificité première du massif du Jura, le différenciant franchement des autres massifs, est due à sa géomorphologie, qui présente une constitution en plateaux successifs, s’élevant en altitude jusqu’à la Haute chaîne. Cela a créé des paysages absolument remarquables et mouvementés qui participe de son attractivité et qui fait également son attrait pour le ski nordique. 

Par ailleurs, en raison de sa proximité avec la Suisse, ce massif est une montagne habitée même en altitude, avec de forts enjeux transfrontaliers liés à la mobilité, à la pollution de l'air, au foncier, à la pénurie de main d’œuvre côté français…

C’est aussi un massif karstique, impliquant un réseau hydraulique très particulier avec des infiltrations de l’eau très rapides et donc d’importantes problématiques liées à sa quantité et sa sensibilité aux pollutions. Cette caractéristique est impactante dans le contexte de changement climatique, à plusieurs égards, et notamment sur la forêt, qui couvre 43% de la surface du massif. Le stress hydrique fragilise les arbres, qui ont plus de mal à lutter contre les attaques parasitaires comme le scolyte. Les attaques de ces dernières années, spécifiquement dans le massif du Jura, obligent à des coupes rases inédites. Les réflexions des acteurs publics et privés sont intenses pour réfléchir à l’évolution de la filière (quelles espèces replanter, en plants ou en semis, ou selon la méthode de régénération naturelle…).

Le massif présente également des spécificités agricoles et est spécialisé, outre la zone dédiée à la vigne – vins d’Arbois, dans l’exploitation laitière sous la forme de fruitières pour la production de fromages à forte valeur ajouté, avec 4 AOC-AOP (comté, morbier, mont-d’or et bleu de Gex). Ce type de production nécessite d’importants espaces de pâturage. Mais le réchauffement climatique implique de se poser des questions de manière urgente : comment abreuver les bêtes en période de sécheresse, avec quoi les nourrir s’il n’y a pas suffisamment de production fourragère ? Quelle est la bonne taille pour un cheptel dans ce contexte ? Sommes-nous en mesure d’assurer l’autonomie alimentaire ?

Ce massif a d’autres spécificités, comme par exemple, en termes de biodiversité, une grande diversité floristique et faunistique avec des espèces emblématiques et souvent menacées : le lynx boréal (80% de l’espèce vit dans le massif), le Grand tétras, etc.
Le massif est également une terre d’industrie de pointe (plastic-vallée, horlogerie, lunetterie, microtechnique) et d’artisanat (tournerie, marqueterie, etc.). C’est une terre de tourisme 4 saisons, de sport de pleine nature et de champions sportifs internationaux.
Mais par-dessus tout, c’est une terre de coopération, qui doit continuer à réfléchir collectivement, tout en conservant son identité nordique, pour sa transformation dans le contexte actuel de changement climatique.

 

Face à ces enjeux, comment faire évoluer les pratiques à l'échelle d'un territoire comme celui du Massif du jura ?

L'enjeu essentiel est de faire en sorte que les différents acteurs du territoire, membres du comité de massif, syndicats, filières, entreprises, associations, travaillent ensemble, échangent et partagent les idées et solutions. Je constate une réelle évolution des discours, grâce à aux actions de sensibilisation et d’apport de connaissances organisées dans les territoires. Je crois que la situation et l'impact du changement climatique sur le Massif sont de plus en plus partagés et que la nécessaire adaptation, la transformation du-des modèle-s désormais est acceptée.

Pour opérer cela, la question des financements est dans toutes les bouches. Les partenaires financiers sont nombreux et travaillent en collaboration pour s’accorder sur les objectifs. Pour ce qui est des crédits du CPIER Massif du Jura, l’Etat et les régions ont mis l’accent sur les expérimentations et les projets exemplaires inspirants. Nous accompagnons par exemple des projets de connaissance agricole permettant de suivre des fermes pilotes en transition agro-climatique. Pour la forêt, nous suivons une fruitière forestière qui effectue des tests pour déterminer la résistance des semis versus plantations, en fonction des natures de sols et des altitudes.

Inciter les expérimentations signifie "de se donner le droit à l’erreur", du moment que l’on en tire des retours permettant de faire évoluer les projets et d’améliorer les trajectoires.

Il m’apparaît indispensable d’opérer une réflexion collective, partagée, positive et enthousiasmante axée sur l'avenir du territoire. Ce dernier doit miser sur tous ses atouts pour se transformer progressivement et durablement. Et je pense que nous pouvons en effet être positifs, car même s'il existe des désaccords, les débats sont constructifs et les acteurs fourmillent de projets et d’idées.

Pour finir, je suis commissaire à l’aménagement de ce passionnant Massif depuis 3 ans et j'observe que les postures évoluent sur des sujets aussi importants que l’évolution du tourisme, l’avenir de la neige, l’attention que nous devons porter à la ressource en eau, la transformation de la forêt, la diversification agricole. On voit s'installer cette intelligence collective et systémique, en transversalité sur tous les sujets de l’adaptation au changement climatique et c’est grâce aux acteurs du territoire et à la diffusion des connaissances que l’histoire de ce massif continue à s’écrire durablement.

 

Claire Faessel-Virole, Directrice de projets Politique et aménagement de la montagne au Cerema Centre-Est, et Référente Montagne du Cerema

 

Le Séminaire montagne est un rendez-vous annuel des acteurs de la montagne : Quels sont les principaux objectifs de cet évènement ?

Entrée des tourbières du Bief du Nanchez - Cerema

Le Séminaire montagne est organisé par le Cerema en partenariat avec la DGALN (Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature) du ministère chargé de la transition écologique et la DDT (Direction départementale des territoires) concernée, avec l’ANCT et le commissariat du massif concerné, et en collaboration avec la collectivité qui nous accueille. L'objectif est de se retrouver chaque année entre techniciens des collectivités, des services de l'État, et plus généralement de l'ingénierie publique, pour développer de l'interconnaissance et faire réseau, s'inspirer des expériences des uns et des autres pour répondre aux défis des transitions des territoires de montagne. 

Le séminaire est organisé chaque année dans un massif différent, sur un territoire de montagne différent, le but étant de s’ancrer sur la réalité de terrain du territoire qui nous accueille par des visites et rencontres d’acteurs locaux. Les thématiques du séminaire et la manière de les traiter sont donc chaque année fortement liées au territoire d’accueil.

 

Le séminaire 2024 dans le Jura portait sur l'eau, la forêt et le changement climatique. Plus particulièrement, qu'est-ce que le Cerema a voulu mettre en avant cette année ?

Cette année, nous étions accueillis par la Communauté de communes La Grandvallière dans le Parc naturel régional du Haut-Jura, dans le massif du Jura. Il s’agit d’un territoire de moyenne montagne qu'on aurait pu croire à l'abri du changement climatique, mais qui en subit de plein fouet les effets. Les participants ont pu s’en rendre compte au travers des interventions de la première table ronde, ou des témoignages d’acteurs locaux lors de la visite des Cascades du Hérisson et de celle de la Réserve naturelle régionale des Tourbières du Bief du Nanchez. 

Ces phénomènes illustrent la situation à venir sur l’ensemble des territoires de montagne. Daniel Gilbert, écologue, notre grand témoin de cette année nous a alertés sur le réchauffement climatique inéluctable, sur ses conséquences sur le cycle de l’eau et sur les effets par exemple sur la mortalité des arbres qui ne se produisent pas de manière linéaire mais par ruptures.

Nous avons souhaité mettre en avant cette réalité, mais également faire le lien avec la biodiversité et les services écosystémiques : le séminaire a été l’occasion de décrypter les visites de terrain effectuées en utilisant le schéma de la "cascade des services écosystémiques" présentée par Daniel Gilbert, exercice difficile mais qui a permis de faire prendre conscience de l’importance de la gestion adaptative pour garantir le bon fonctionnement des milieux hydriques et forestiers et assurer la pérennité des services écosystémiques.

 

Quelles sont les perspectives suite à ce séminaire 2024 ?

Nous souhaitons poursuivre les échanges avec les participants réguliers ou occasionnels de ces séminaires Montagne. Pour cela, nous avons mis en place une communauté dédiée "Séminaire Montagne" sur la plateforme coopérative Expertises-territoires proposée par le Cerema, sur laquelle on trouvera en particulier les ressources récoltées au fur et à mesure des séminaires. Cette communauté est ouverte à toutes celles et tous ceux qui portent et mettent en œuvre les politiques publiques sur les transitions des territoires de montagne, ainsi qu’aux organismes qui leur viennent en appui : collectivités, syndicats mixtes et pôle d’équilibre rural, services de l’Etat, PNR et parcs nationaux, agences d’urbanisme, CAUE, associations … 

Nous réfléchissons aussi déjà au séminaire de l’année prochaine, en restant à l’écoute des besoins, envies ou idées : pour les territoires de montagne, le séminaire peut être l’occasion de mettre en lumière une démarche de transition particulière ou des projets d’envergure, ou encore de bénéficier du regard extérieur d’acteurs de la montagne sur leur propre territoire pour révéler des éléments de différenciation. Nous invitons donc les collectivités ou DDT qui auraient des suggestions pour une prochaine session, à prendre contact avec nous (pole-montagne@cerema.fr).

 

Daniel Gilbert, Grand témoin, Professeur à l’Université de Franche-Comté et spécialiste des tourbières

 

Bonjour Monsieur Gilbert. Vous êtes écologue, spécialiste des tourbières. Nous sommes ici sur une tourbière du parc naturel du Haut Jura : pouvez-vous nous expliquer les enjeux liés à la préservation des tourbières ?

Daniel Gilbert

  Tout d’abord, il existe différentes sortes de tourbières : on en trouve près du littoral par exemple dans la Somme, dans le Marais de Brière, ce sont de très grandes zones humides qui représentent 90% des 120 000 hectares des tourbières de France. Mais les tourbières les plus connues sont celles qu’on trouve en moyenne montagne, comme ici dans le Jura. Les tourbières concentrent beaucoup de carbone parce que le CO2 de l’air est fixé par la végétation, et comme une tourbière est remplie d’eau, la matière organique ne se décompose pas complètement et s’accumule : la tourbe se crée au fil du temps et emprisonne de grandes quantités de carbone. 

On estime qu’il y a presque autant de carbone dans les tourbières que dans l’air et le problème est que si on enlève l’eau de ces tourbières, le carbone repart dans l’atmosphère. Il s‘agit de quantités de CO2 énormes. Actuellement, les tourbières mondiales drainées émettent davantage de gaz à effet de serre que ce qu’émet l’ensemble du trafic aérien. Or, le climat des territoires de montagne se réchauffe plus vite qu’en plaine ce qui assèche les sols et amplifie la problème de la dégradation des tourbières.

 

De quels moyens d’action disposent les territoires pour préserver les tourbières ?

La seule solution est de réduire fortement les émissions de CO2. Concernant les tourbières, qui sont de plus en plus protégées, il est possible de supprimer les drains pour faire revenir l’eau. Progressivement, en montagne et dans le Jura notamment, le regard sur les tourbières change, elles sont de mieux en mieux prises en compte dans leur spécificité et vis-à-vis de leur intérêt pour le territoire. Il est important de préserver les tourbières, leur stock de carbone et d’eau.

Cependant, le changement climatique risque d’encore réchauffer l’atmosphère, ce qui aura un impact sur les tourbières. Les pressions sur les territoires de moyenne montagne augmentent, avec davantage de tourisme, davantage de gens qui viennent y habiter, et cette pression foncière entraine une pression sur la biodiversité et sur la ressource en eau. Il y a dès maintenant un fort enjeu à adapter l’aménagement du territoire au contexte : dans le Jura, des communes manquent déjà d’eau en été. On voit des communes refuser les nouvelles constructions par manque d’eau… 

L’objectif numéro un est de maintenir l’eau dans les paysages, en réduisant notamment l’impact du vent qui assèche beaucoup la végétation et les sols, en recréant des haies, en réméandrant les cours d’eau pour éviter que l’eau parte directement à la mer, en recréant des zones humides qui permettent de retenir l’eau en amont ... L’enjeu est de retarder le plus possible l’écoulement en mer des eaux pluviales, surtout dans le Jura où le sol karstique fait que l’eau s’infiltre très vite dans le sol et s’écoule vers les rivières. Il faut donc faire évoluer les pratiques et anticiper les conditions futures du territoire.
 

Pour prolonger la thématique du séminaire, un Forum avec 5 ateliers en parallèle 

Nouveauté en 2024, un forum avec 5 ateliers en parallèle a permis d’approfondir certains sujets :

 

Atelier 1 - Quelles solutions désirables pour adapter la gestion de la ressource en eau en territoire de montagne ? avec Catherine Neel, Directrice de projets Gestion Résiliente des Hydrosystèmes au Cerema Centre-Est ajouter PPT

L’atelier avait pour objectif de faire comprendre ce qu’est la gestion intégrée de l’eau et de faire prendre conscience que celle-ci ne renvoie pas à la gestion et répartition de stocks, mais à la gestion de flux, ce qui induit un changement de regard. Les échanges ont fait ressortir la nécessité de se projeter, d’évaluer les besoins du territoire en eau selon le projet de territoire défini dans le SCoT ou le PLU, ainsi que la question nouvelle de l’accès à l’eau potable dans les territoires de montagne. Le modèle numérique Strateau développé par le Cerema, pour mesurer l’écart entre besoins et ressources en eau des pays et territoires a fait l’objet d’une présentation. 

Atelier 2 - Quelle stratégie pour adapter la compétence Gemapi (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) aux territoires de montagne ? avec Sylvain Moreira, Chef de Groupe Eau et Risques au Cerema Centre-Est et Lalie Chochon Directrice du service Biodiversité et Agriculture, CC du Pays d'Évian Vallée d'Abondance ajouter PPT

L’atelier a présenté l’exemple de construction d’une doctrine d’application de la Gemapi pour la CC du Pays d’Evian Vallée d’Abondance. Celle-ci s’est appuyée sur un benchmark concernant la mise en œuvre de cette compétence en territoire de montagne, adaptée aux spécificités de ces territoires. Cet exemple peut être décliné sur d’autres territoires de montagne.

La présentation :

La présentation :

Atelier 3 - Génie écologique, de la planification aux projets d’aménagement, avec Emmanuelle Thooris, Animatrice régionale « Solutions d’adaptation fondées sur la Nature », Projet LIFE intégré ARTISAN, Direction Régionale Bourgogne-Franche-Comté de l’OFB, Julien Moronval, Chef du service Grand Cycle de l'Eau au PNR du Haut-Jura, et Julien Perrin, Responsable de la marque Equo Vivo, VCMF ajouter 2 PPT

L’Atelier était organisé avec l’appui de l’A-Igeco, Association des acteurs de l’ingénierie et du génie écologique, qui œuvre pour faire connaître et structurer la filière du génie écologique, notamment avec la mise en place d’une qualification Kalisterre, de règles professionnelles et la mise à disposition d’un annuaire d’entreprises. Le génie écologique intervient de fait sur un milieu vivant qui nécessite de s’adapter chemin faisant. Il renvoie aussi à des compétences connexes (géotechnique …), à charge pour les maîtres d’ouvrage d’intégrer l’ensemble de ces compétences pour la réussite des opérations.

Atelier 4 - Exemples d’accompagnement de projets en montagne avec la mobilisation des Fonds, avec Fanny Lendi-Ramirez, Référente montagne de la DGALN, Ministère chargé de la transition écologique, Magali Martin, Directrice du Programme Montagne et Ruralités de l’ANCT et Hélène de Kergariou, Commissaire à l'aménagement, au développement et à la protection du massif du Jura ajouter 3 PPT

L’atelier a permis de présenter les fonds disponibles pour les territoires de montagne : Fonds vert avec un focus sur la montagne, France Ruralités avec un coup de projecteur sur la mesure "mobilité durable" (30 millions d’euros disponibles par an pendant 3 ans), fonds spécifiques pour les territoires du massif (du Jura). L’accent a été mis sur la possibilité de mobiliser des fonds importants, sous réserve que ce soit à bon escient; l’atelier a donné lieu également à des échanges sur la temporalité des mesures, l’intérêt de montage de projets inter-territoriaux …

La présentation :

Une communauté d'échanges "Séminaire montagne"
sur la plateforme Expertises.territoires

Pour rejoindre la communauté:

  1. S'inscrire sur Expertises.territoires 
  2. S'inscrire à la communauté Séminaire montagne

 

La communauté

 

  • Dans le dossier Le Cerema accompagne les territoires de montagne dans leurs transitions, en intégrant leurs spécificités et leur diversité

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