4 juin 2024
Parking de covoiturage en Ille-et-Vilaine
Arnaud Bouissou TERRA
Le covoiturage a fait son grand retour en France. La fin de l’épidémie de Covid, la flambée des prix de l’énergie et le Plan national de covoiturage du quotidien ont apporté un nouvel élan à cette pratique, durement touchée par la crise sanitaire.
Mais dispose-t-on des données et des outils pour suivre et piloter son développement ?

Cet article du Cerema a été publié en septembre 2023 par la revue TEC.

Le covoiturage n’est plus seulement l’affaire du porte-monnaie des usagers. Les derniers bouleversements climatiques pressent les décideurs publics d’agir sur l’impact écologique des transports. La Loi d’Orientation des Mobilités du 24 décembre 2019 a permis à de nombreuses collectivités, y compris les régions, d’investir dans le covoiturage.

 

Sonder un mode émergent mais encore très minoritaire

Ces collectivités nouent des partenariats avec différents opérateurs pour jouer leur rôle d’autorité organisatrice de mobilité (AOM). Cependant, accompagner le développement de ce mode de transport n’est pas chose aisée. Comment façonner l’offre de service ? Comment répondre à la demande des usagers ?

La connaissance des usages et des déplacements réalisés est donc essentielle.

Le covoiturage suscite un grand intérêt mais la pratique demeure insaisissable tant le nombre de déplacements concernés est faible. En plus d’être minoritaire, le covoiturage est également multifacettes. La voiture emmène aussi bien des proches, des collègues, des inconnus. Les arrangements sont alors plus ou moins formels, encadrés ou monnayés. Habituellement si précieuses et considérées comme des références, les enquêtes de mobilité, telles les enquêtes ménages déplacements, ne suffisent pas à l’étude de la pratique.

Avant l’essor des opérateurs majeurs que nous connaissons aujourd’hui, les études s’appuyaient surtout sur des enquêtes spécifiques ou sur l’Enquête Mobilité des Personnes. Le lancement des plateformes de mise en relation des usagers a ouvert une nouvelle ère : le covoitureur devient une donnée de plus qui alimente un Big Data déjà bien fourni. Certes, ces données massives ne sont pas la panacée pour la compréhension de la mobilité. Mais elles participent à dissiper le brouillard pour qui sait en dépasser les biais.

 

Le registre de preuve de covoiturage pour observer la pratique

Station de covoiturage du réseau STAR en agglomération rennaise

Le Big Data qui nous intéresse dans le cas présent a été porté et promu par l’État français. Depuis 2019, une partie des usages est tracée et centralisée par une start-up gouvernementale. Le service numérique Registre de preuve de covoiturage (RPC) facilite et sécurise les relations entre AOM, opérateurs affiliés et usagers.

 

Le registre

 

Chaque transaction réalisée par son intermédiaire est capitalisée dans une base au niveau national et devient une donnée ouverte à tous. La start-up a maintenant transformé l’essai et publie chaque mois cette manne précieuse contenant notamment les lieux de début et de fin du trajet et le nombre de covoitureurs passagers. Fort de sa compétence nationale et des partenariats qu’il a noués, le RPC est devenu un précieux outil de suivi, un thermomètre en "temps réel" de la pratique. Mais il a certaines limites propres. Par exemple, il ne contient que les parties de déplacement mutualisées entre conducteurs et passagers, et non les origines ou les destinations.

 

Concevoir une offre de covoiturage pose de nombreuses questions. Les collectivités territoriales (CT) doivent choisir quelles infrastructures sont nécessaires, quelles compensations financières permettent d’équilibrer offre et demande, etc. 

À travers le RPC, les CT ont accès en même temps à des retours d’expérience sur d’autres territoires et au suivi des mesures qu’elles appliquent. Le Cerema, remplissant son rôle d’expert technique de référence, s’est positionné auprès des décideurs locaux pour travailler sur ce mode de transport qui participe à la transition écologique. Notamment, la région des Pays de la Loire (PDL) lui a confié une mission pour suivre l’impact de mesures grâce au RPC. Dans le but de faire progresser la connaissance du covoiturage, le Cerema a par ailleurs entrepris des analyses exploratoires du RPC visant à évaluer cette base de données. Ces analyses font appel en partie à l’intelligence artificielle (IA). 

 

Suivre et prédire la pratique dans le temps et dans l'espace

L’évolution de la pratique est un premier terrain d’analyse sur lequel utiliser le RPC. La base a été exploitée pour obtenir le volume mensuel de trajets en AuRA sur un jour ouvré. La division de ce volume par l’indice régional de circulation routière estimé par le Cerema produit une grandeur qui s’apparente à une part de marché du mode (voir figure 1). La courbe présentée illustre nettement l’impact de certains évènements sur la pratique. Mais faire la part des choses entre deux facteurs concomitants demeure complexe. 

Par exemple, la mise en place de la prime incitative de 100 € coïncide avec les mouvements sociaux autour de la réforme des retraites. Considérant toujours le nombre de trajets réalisés sur un territoire, une modélisation des flux journaliers a été tentée en PDL à des fins de prédiction. Une régression basée sur l’IA (l’algorithme de descente de gradient, parmi d’autres) a été mise en œuvre avec succès sur la base de déterminants qui incluent le volume sur la semaine passée, le type de jour et le prix moyen des carburants.

L’exploration des schémas géographiques de covoiturage est aussi une nécessité.

L’étude sur PDL a montré que la distance parcourue médiane se situe entre 20 et 30 km et que 95 % des trajets sont inférieurs à 80 km. En outre, la distribution des distances parcourues dépend fortement de la politique d’incitation financière choisie par l’AOM. L’impact d’un changement de politique peut être suivi à travers la structure origine-destination des trajets. Étant donné la forte dispersion des lieux contenus dans le RPC, il n’est pas possible de comparer aisément deux jeux de données mensuelles brutes M1 et M2. 

Pour cette raison, une méthode d’agrégation par classification ascendante hiérarchique, une autre technique d’IA, a été appliquée en AuRA. Le regroupement en un nombre limité et constant de classes a ainsi facilité la visualisation des données. Il concourt à mettre en lumière les évolutions éventuelles entre deux périodes (voir figure 2). Cette représentation est un apport précieux venant compléter les matrices largement usitées, mais basées sur un zonage défini a priori.

 

 

Un atout pour l'étude et la promotion du covoiturage 

À l’évidence, le registre se révèle utile, à l’instar de sa contribution à l’Observatoire national du covoiturage au quotidien.

Pour autant, il n’a pas un rôle messianique en matière de connaissance de la pratique.

Des analyses comparatives sur un même territoire laissent à penser que le RPC ne remplace pas les enquêtes ménages déplacements : il les complète, sur les moyennes distances notamment. En revanche, la quantité d’informations du RPC et la régularité de publication représentent des atouts considérables. Ils ouvrent la voie à diverses applications au service de la décision publique, dont la modélisation et la prévision des déplacements. 

Par ailleurs, la massification des données de covoiturage autorise l’emploi de techniques d’IA qui ont déjà fait leur preuve dans de nombreux domaines. Les mois qui précédent ont également permis d’espérer un ancrage durable de ce mode dans les comportements.

Dans le dossier Covoiturage : le dossier du Cerema

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