8 juin 2023
Irrigation d'un champ en terre
Les mesures de plus en plus fréquentes de restrictions des usages de l’eau amènent de nombreux acteurs et territoires à envisager le recours aux Eaux Non Conventionnelles (ENC). Cette question du recours aux ENC doit être intégrée dans le cadre d’une réflexion générale sur la gestion de l’eau à l’échelle du territoire, en tenant compte de la sensibilité des populations et des milieux du territoire, dans une approche prospective intégrant les enjeux du changement climatique. 

Il s’agit d’optimiser nos usages de l’eau et d’accompagner les mesures de sobriété par des actions mobilisant tous les acteurs, encourageant la coopération ou la complémentarité des solutions de recours aux ENC.
Le Plan Eau, par ses engagements, a pour objectif de relever le défi. Le Cerema continue à accompagner les collectivités pour les aider à passer à l’action.

  
De nombreux leviers d’action pour déployer le recours aux ENC en France : 

petite cascade d'eauLe groupe de travail national dédié aux recours aux Eaux Non Conventionnelles, animé par l’ASTEE et mandaté par les ministères en charge de la Transition Écologique et de la Santé a remis la première partie de ses travaux et les a présentés lors d’un séminaire Vendredi 21 avril 2023. Il a proposé une définition large des Eaux Non Conventionnelles comme correspondant aux types d’eaux autres que celles issues directement d’un prélèvement direct dans la ressource naturelle et faisant éventuellement l’objet d’un traitement approprié par rapport à l’usage.

Cela permet d’y inclure, au-delà des Eaux Usées Traitées au niveau de stations d’épuration collectives urbaines, de stations d’épurations industrielles ou encore de petites stations d’épuration privées (ex. complexes hôteliers, parcs d’attraction…), aussi bien : 

  • les Eaux de Pluie récupérées en aval des toitures, 
  • les eaux grises sortant des douches, lave-linge et lavabo,
  • les eaux pluviales ruisselant sur les voiries et surfaces urbaines autres que les toitures,
  • les eaux d’exhaure pompées en permanence pour mettre hors d’eau nos infrastructures souterraines (parking, stations de métro…), 
  • les eaux issues de process industriels.

Les membres du GT ont tenu à souligner la nécessité d’inscrire le recours aux Eaux Non Conventionnelles dans une approche globale de gestion de l’eau, en rappelant qu’il n’existe qu’une et une seule ressource en eau, utile aux milieux naturels et que les ENC ne se distinguent de l’eau dite "conventionnelle" que parce qu’elles ont été utilisées ou récupérées par l’homme, suite à ces aménagements et activités.

A l’appui de plus de 80 retours d’expériences, les membres du groupe de travail ont mentionné, entre autres actions à mener pour aider le déploiement du recours aux ENC, là où il est approprié, la nécessité de faire évoluer la réglementation, de diffuser des bonnes pratiques, des retours d’expériences documentés, de simplifier les procédures administratives avec un guichet unique pour les porteurs de projet.

Ils ont aussi souligné le besoin d’accompagnement de tous les acteurs, depuis les porteurs de projets, aux concepteurs de solutions innovantes, jusqu’aux services instructeurs. L’enjeu est d’aider et d’encadrer au mieux les porteurs de projets, collectivités ou entreprises comme les bureaux d’études qui les accompagnent, à passer à l’action. 

Il est apparu au final que le recours aux ENC à l’échelle de la France pourrait faire économiser plusieurs millions de m3 de prélèvements d’eau chaque année, à condition de mettre en œuvre les recommandations proposées, à permettre le multi-usages et les multiples types d’eau, conventionnelle ou non, en mobilisant tous les acteurs concernés, jusqu’aux usagers de l’eau, sans affecter les milieux naturels.  

 

Le défi est le suivant : Comment inscrire le recours aux ENC dans une logique d’économie et de partage de la ressource en eau qui n’oublie pas les besoins naturels des écosystèmes

Au-delà, les débats ont soulevé une autre opportunité du recours aux ENC : Favoriser une économie locale et circulaire de l’eau, qui s’intègre dans une transition écologique des systèmes domestiques et tertiaires, industriels, agro-alimentaires et des systèmes agricoles, qu’ils soient urbains ou ruraux.

 

Un Plan Eau qui engage des actions pour réussir ce déploiement d’ici 2027: 

Le 30 mars 2023, un plan Eau a été annoncé par le Président de la République. Ce plan ambitieux réaffirme les objectifs des assises de l’eau et du Varennes agricole de l’eau, en allant plus loin, avec par exemple l’objectif de massifier le recours aux ENC d’ici 2030 (Principalement les mesures 15 à 19 du plan).

  • L’action : 17 : observatoire de la REUT, pour lequel il a été affirmé le souhait de l’élargir à un observatoire plus général du recours aux ENC,
  • L’action 18 qui positionne explicitement le Cerema dans une mission d’appui à l’émergence de projets de REUT en littoral.

L'objectif national est d’arriver à 10% d’utilisation du volume d’eaux usées traitées au niveau de stations d’épuration et de permettre que 1000 projets de recours aux ENC soient réalisés en France d’ici 2027.

Le Cerema accompagne des collectivités dans des démarches d’opportunité de mise en œuvre de la REUT à différentes échelles :

  • Le Département du Loiret, dans une démarche prospective et multi-acteurs pour cibler les secteurs de son territoire où la REUT serait la plus appropriée et pour faciliter l’acceptabilité de la démarche par le plus grand nombre ;
  • La CARENE (Communauté d’Agglomération de la Région Nazairienne et de l’Estuaire), dans le cadre d’une convention portant sur l’écologie industrielle et territoriale et l’adaptation au changement climatique : définition des besoins potentiels et des disponibilités en quantité et en qualité des 9 STEU de la collectivité appuyée sur une expertise technique et réglementaire des données existantes, un recensement des usages et une analyse multicritères des enjeux.
  • Le Syndicat Mixte d’Assainissement de l’Agglomération Granvillaise (SMAAG) et le Syndicat de Mutualisation de l’Eau potable du Granvillais et de l’Avranchin (SMPGA), sur un territoire côtier avec des enjeux environnementaux, sanitaires et touristiques élevés, pour diversifier les usages de l’eau existants, limiter les prélèvements actuels et futurs dans une perspective de changement climatique ou soutenir la ressource existante.

Vers une coordination des actions pour répondre aux enjeux des territoires : pour pour des territoires durables et résilients

rivière en étiageDepuis 2018, il apparaît que tous les territoires français, de l’hexagone ou des outre-mer, sont concernés par une raréfaction de la ressource en eau ou une dégradation de la qualité des masses d’eau avec le changement climatique.

La mise à l’étude de la REUT et plus largement du recours aux ENC constitue une opportunité de repenser les modes d’organisation les priorités d’usages de l’eau et de mieux coordonner les investissements pour répondre aux enjeux du territoire.  

Des actions à mener aussi à l’échelle des bâtiments 

Le recours aux ENC passe également par une prise en considération plus marquée pour l’échelle du bâtiment qui offre de grandes opportunités. Si l’utilisation de l’eau de pluie issue de toitures a déjà fait l’objet d’un début de réglementation via l’arrêté du 21 août 2008 qui y est spécifiquement consacré, conduisant d’ores et déjà à une certaine montée en puissance du nombre de projets concernés, l’élargissement du cadre réglementaire existant (inclusion d’autres surfaces de collectes que les seules toitures inaccessibles, sortie du lave-linge du caractère "expérimental", ainsi que des mesures encourageant des innovations pourraient permettre d’avoir un effet de levier non négligeable en termes de massification de la pratique.

En sus de l’eau de pluie, la réutilisation des eaux grises, pratique déjà largement mise en œuvre et reconnue à l’étranger, présente un fort potentiel, aujourd’hui obéré par l’absence de texte réglementaire sur le sujet. Le Cerema est en mesure d’accompagner les maîtres d’ouvrage dans des projets innovants promouvant ces pratiques.

 

Les collectivités lancent la réflexion sur le déploiement de projets de REUT

retenue colinaire à mayotte
Retenue colinaire à Mayotte - S. van Ceunebroek - Cerema

Un panorama des projets de Réutilisation des Eaux Usées Traitées a été réalisé par le Cerema pour le compte de l’Etat en 2020. Il a montré la difficulté à concevoir des projets viables financièrement, mais aussi le potentiel de développement de ces démarches car cette eau est disponible indépendamment des aléas climatiques.

L’étude estimait que de 7 à 10 millions de mètres cubes d’eaux traitées sont réutilisées en France sur un an, alors que la commission européenne évalue à 112 millions de mètres cubes le potentiel d’eaux usées traitées par les stations d’épuration collectives réutilisables, sans compter les stations privées. L’objectif au niveau national est tripler d’ici à 2025 le volume d’eaux usées traitées réutilisées.

Les collectivités notamment, des départements tels que la Nièvre, des communautés d'agglomération comme celle de Saint-Nazaire, s’interrogent sur la stratégie à mener et ont mis en œuvre des démarches pour identifier les opportunités de REUT sur leur territoire. Le Cerema a accompagné ces deux territoires dans l’analyse des opportunités, et a défini une méthodologie permettant d’intégrer les enjeux environnementaux et la faisabilité technique.

Il a aussi apporté son expertise aux départements ultra-marins dans le cadre d’une réflexion sur la résilience des services d’eau potable et d’assainissement, et à plusieurs collectivités telles que Libourne, Angoulême, Narbonne ou la métropole de Toulouse, pour définir des stratégies de renaturation et désimperméabilisation des sols, afin de favoriser l’infiltration des eaux pluviales au plus près de là où elles tombent, et ainsi éviter la saturation des systèmes d’assainissement, la pollution de l’eau qui ruisselle et le ruissellement. D’autres acteurs sollicitent le Cerema pour leur démarche de projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), le Port du Sud de France et le port de Sète pour le recyclage de l’eau sur place, Véolia avec lequel il développe un outil pour connaître la résilience de la gestion de l’eau et des systèmes d’assainissement…

Inscrire la REUT dans une stratégie locale de gestion de l’eau

Ces travaux ont mis en évidence plusieurs enseignements, à commencer par l’importance d’inscrire la REUT dans un projet territorial de gestion durable de l’eau. Par ailleurs, si l’ensemble du territoire dispose d’un potentiel de REUT, les enjeux ne sont pas les mêmes partout.

 

 

En termes de méthode, certaines recommandations peuvent être formulées :
  • Partager les objectifs du projet par rapport aux enjeux du territoire
  • Evaluer les bénéfices et risques tant du point de vue écologique, que du point de vue économique avec une approche prospective du territoire.
  • Assurer une coordination avec les autres territoires dépendant de la même nappe phréatique.
  • Intégrer les enjeux liés au cycle de l’eau car une partie de l’eau réutilisée disparaît par évapotranspiration : Ne pas négliger les actions d’économies de la ressource en eau, prendre en compte le besoin de recharger les nappes et d’assurer le débit des cours d’eau

Sur le plan financier, il est important de mesurer les coûts en fonction des usages prévus, et de répartir les charges entre les acteurs, et intégrer plusieurs usages possibles dans les projets peut être un atout. 

Un enjeu fort actuellement est aussi de disposer de données précises sur les prélèvements réalisés, afin de mieux mesurer l’impact des dispositifs de REUT’